Démagogie sécuritaire et problèmes réels17/05/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/05/une1764.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Démagogie sécuritaire et problèmes réels

La droite comme la gauche ayant fait de l'insécurité le thème dominant de la campagne électorale, le nouveau ministre de l'Intérieur Sarkozy, à peine nommé, s'est livré à une mise en scène censée l'installer dans son nouveau rôle de « ministre de la Sécurité intérieure »

Celle-ci a consisté en une tournée de nuit, d'abord au commissariat de Saint-Ouen où il a constaté le délabrement des locaux, puis à Bobigny, où il a promis aux fonctionnaires de police de la direction départementale de «faire le maximum »... pour que la hiérarchie soutienne ses troupes et affiche une « volonté de leur donner des moyens ». Il a aussi sillonné trois cités de Seine-St-Denis où il a essuyé quelques huées et croisé une voiture qui brûlait, rassuré les gendarmes sur le maintien de leur statut de militaire. Enfin, après avoir assisté à une opération menée dans le 17ème arrondissement contre la prostitution, il est allé se coucher. Selon Sarkozy, « la sécurité intérieure, c'est la gendarmerie et la police ». Ce qui ne l'avait pas empêché, dans un entretien sur France Inter avant le premier tour, de se montrer réticent à annoncer des créations de nouveaux postes de policiers. Restrictions budgétaires obligent, il se méfiait déjà de promesses que le ministre des Finances l'empêcherait de tenir.

Il est vrai, bien sûr, qu'indépendamment de la démagogie des politiciens, un sentiment d'insécurité a grandi au cours des dernières années, empoisonnant la vie d'une partie des classes populaires. Mais c'est le produit d'une évolution où l'on a vu l'ensemble des conditions d'existence des classes laborieuses se dégrader.

En région parisienne, par exemple, toute une partie des travailleurs qui, il y a encore cinquante ans, habitaient une ville comme Paris, ont été chassés de la capitale pour laisser la place à des bureaux. Ils se sont retrouvés dans les logements sociaux construits par la ville de Paris dans différentes villes de banlieue. Mais ces logements sociaux ont souvent été délaissés. Au mieux, ils ont connu une réhabilitation de façade. Là où il aurait fallu une politique ferme de construction de logements décents, on a préféré les bavardages sur la « politique de la ville ».

Ensuite, avec la croissance du chômage, bien des habitants des banlieues, jusqu'à un sur deux dans certaines cités, se sont retrouvés sans travail. Quant aux emplois créés, ce sont plus souvent des emplois précaires dont les salaires permettent à peine de survivre.

La précarité de l'emploi, la faiblesse des salaires perçus, à son tour, ont contribué à discréditer les parents aux yeux de leurs enfants, qui n'ont nulle envie de les imiter. Beaucoup ont ainsi perdu le minimum d'autorité nécessaire pour empêcher leurs enfants de mal tourner, ce qui n'empêche pas les politiciens les plus démagogues de pointer du doigt à l'occasion l'« irresponsabilité » des parents.

La politique de restrictions budgétaires de l'Etat a entraîné à son tour une dégradation des services publics : transports en commun insuffisants, manque d'effectifs dans les bureaux de poste comme dans les établissements scolaires, et quasi disparition de la présence de policiers dans les quartiers populaires, ont ajouté leur pierre à la dégradation générale.

Et on pourrait ajouter à tout cela, le recul de la présence des militants et des organisations ouvrières qui développaient des sentiments de solidarité et entretenaient une certaine fierté d'appartenir au monde du travail, ce qui a aujourd'hui largement disparu.

Alors, si l'on voulait vraiment s'attaquer au problème à la base, il faudrait commencer par se donner les moyens les services publics, qui en ont bien besoin, et pourquoi pas, en recrutant les chauffeurs de bus ou les postiers parmi les habitants des cités.

Quant aux tâches de police indispensables à la vie en collectivité, elles devraient être assurées par des personnes suffisamment proches des habitants du quartier où elles sont affectées pour pouvoir ainsi désamorcer bien des conflits. Ce serait bien préférable à ces patrouilles policières qui, faute d'assurer une présence réelle, en viennent immédiatement à des interventions musclées quand la tension monte. Eduquer, assurer l'intégration de la jeunesse, développer les services publics, créer des emplois réels, inverser la marche de la dégradation sociale à laquelle on assiste, tout cela pourrait être fait avec l'appui et la collaboration de la population. Mais évidemment, même si cela était fait, même avec un effort soutenu sur une longue période, il faudrait du temps pour remonter la pente de la dégradation sociale de ces dernières années.

Evidemment, ce n'est pas le chemin que prend le nouveau gouvernement de droite, ni d'ailleurs celui qu'indique la gauche. Les mesures que se propose le gouvernement Raffarin sont destinées à satisfaire la fraction de l'électorat de droite ou d'extrême droite qui rêve du « tout sécuritaire », mais pas à agir en profondeur sur les causes réelles de l'insécurité. Car cela demanderait une mobilisation, budgétaire et humaine, que les gouvernants réservent en général à la satisfaction des classes possédantes, et pas des classes populaires. En attendant, la démagogie sécuritaire des partis de gouvernement se développe donc, jusqu'à l'insupportable. Les formules à l'emporte-pièce comme « tolérance zéro », le « tout répressif » ou le « tout sécuritaire » ne sont que mots creux destinés à masquer leur absence de volonté d'améliorer en quoi que ce soit les conditions de vie de la population.

Et il en est de l'insécurité comme de tous les maux dont souffre celle-ci. Pour obliger les gouvernants à prendre en compte les aspirations de la population, il faudrait aussi que le malaise s'exprime autrement que, au moment des élections, par des votes honteux en faveur de Le Pen, mais par une prise de conscience réelle. Ce domaine de la sécurité ne peut être séparé des autres problèmes qui touchent aux conditions de vie des classes populaires. C'est l'ensemble d'une évolution sociale qu'il faut inverser, en créant un autre rapport de force et en imposant aux possédants les exigences de la population en matière de salaires, d'emploi et de conditions de vie en général

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