Les sables mouvants10/05/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/05/une1763.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Les sables mouvants

Des mois de dénonciation de la gauche plurielle et de la droite sur un programme quasi identique à celui d'Arlette Laguiller, aboutissant à un résultat d'Olivier Besancenot comparable... 8 jours pour rallier de fait le vote Chirac ! 8 jours pour gommer tout ce qui a fait le prix politique de la percée du candidat de la LCR.

A croire que la Ligue Communiste s'acharne à faire oublier les points qu'elle venait précisément de marquer. A croire que sa majorité a elle-même bien vite renoncé à rechercher tout accord avec Lutte Ouvrière, du moins pour les législatives, en lui offrant sur un plateau cette divergence politique de taille... introuvable dans la campagne du premier tour.

C'était pourtant élémentaire. Oui, il fallait être avec les jeunes qui manifestaient contre Le Pen dès le soir et le lendemain du 1"tour, et aussi manifester dans la rue le 1" mai contre Le Pen... et Chirac. Mais s'il y avait un « bloc » à faire, ce n'était pas avec cette gauche qui a fait plébisciter gratuitement Chirac. C'était un bloc de l'extrême gauche faisant entendre une seule voix contre l'antifascisme d'opérette de la gauche et de la droite. II fallait s'appuyer sur les scores obtenus par l'extrême gauche au premier tour pour démonter, ensemble, l'opération d'intoxication des partis gouvernementaux.

La LCR, dans les colonnes de Rouge et ses tracts, parle d'une course de vitesse entre l'extrême droite et l'extrême gauche. De la nécessité de préparer les mobilisations futures d'ensemble des travailleurs sur leurs revendications, et autres objectifs parfaitement louables. Certes. Mais comment la gagner cette coursé ?

Sans qu'il y ait, dans le contexte économique et politique actuel, de réel péril fasciste en France (les scores d'un Le Pen faisant plus penser à ceux du boulangisme à la fin du 19' siècle qu'aux défilés des Croix de feu des années 1930), les scores de l'extrême droite qui se maintiennent aux alentours de 17 % depuis plus de dix ans, constituent effectivement un danger potentiel. La nouveauté de la situation politique de cette année, c'est la poussée notable de l'extrême gauche, face au seul maintien de l'extrême droite. Autrement dit, sinon une poussée, du moins une certaine polarisation aux « extrêmes », comme disent les observateurs politiques dont certains redoutent d'ailleurs plus l'extrémisme de gauche que celui de droite.

10 % à l'extrême gauche ; 17 % à l'extrême droite. Voilà ce que dit le thermomètre des urnes. Et il reflète incontestablement non seulement une aggravation objective de la situation sociale, mais une évolution dans la conscience politique d'une partie significative des couches populaires, et un espoir. Mais, malheureusement, une partie plus significative encore reste toujours trompée par la démagogie d'extrême droite.

Alors, effectivement, la situation exigerait de constituer un front de l'extrême gauche capable de s'adresser et surtout de convaincre et d'entraîner ces mêmes couches populaires auprès desquelles la droite comme la gauche traditionnelle se sont complètement discréditées, afin de les détourner des démagogues d'extrême droite. Cela signifierait, sur la base du crédit que traduit les 10 % de l'extrême gauche, prendre bien des initiatives politiques et faire ses preuves à différents niveaux, ou, si l'on préfère, « prendre ses responsabilités », comme dit Rouge.

Seulement, « prendre ses responsabilités », cela commence par s'en tenir à l'orientation qui a permis de faire percevoir l'extrême gauche comme la seule force d'opposition intransigeante aux partis aux pouvoir, qu'ils soient de droite ou se disent de gauche. En l'occurrence, c'est Lutte Ouvrière et pas la LCR qui a maintenu sa position. Or l'extrême gauche ne pourra accroître son crédit auprès des larges couches populaires, vis-à-vis desquelles on peut dire qu'il y a une course de vitesse avec l'extrême droite, qu'à condition de ne pas renier l'orientation qu'elle a défendue pendant la campagne pour le premier tour. C'est à cette seule condition qu'elle pourra consolider et accroître le crédit lui permettant d'en appeler à la mobilisation contre Le Pen comme à la mobilisation d'ensemble des travailleurs pour leurs revendications.

En réponse au refus de Lutte Ouvrière d'une répartition des circonscriptions pour les législatives, suite aux positions de la LCR au second tour des présidentielles, cette dernière invoque le sectarisme de LO (ce qui en la circonstance consiste une fois de plus à chercher à excuser ses propres errements par les faiblesses de l'autre) et parle de prendre toute disposition « pour que la LCR propose une alternative radicale luttant contre la droite et l'extrême droite » partout en France.

La formule reste encore vague, mais qu'annonce-t-elle ? Il y a peu, il était encore question d'une alternative radicale contre la droite, l'extrême droite, mais aussi contre la gauche plurielle. Depuis huit jours, on peut craindre au contraire que la LCR soit à nouveau tentée de s'enliser dans les sables mouvants du «battre la droite et l'extrême droite», politique rebaptisée pour la circonstance « alternative radicale contre la droite et l'extrême droite ». Cela signifierait que la LCR persisterait dans son renoncement politique du second tour et qu'elle s'acharnerait à renier le crédit qu'elle a acquis au travers de la candidature d'Olivier Besancenot sur la base d'une opposition sans concessions à la gauche gouvernementale.

Ce n'est pas ce type de renoncement qui a permis à Olivier Besancenot de réaliser un score proche de celui d'Arlette Laguiller, ni à l'extrême gauche d'être le seul courant politique de ce pays a pratiquement doubler ses voix. Et ce n'est certes pas cette politique qui mettra l'extrême gauche en situation de constituer une véritable alternative politique à la classe ouvrière et à ses militants, ni même de constituer un authentique bloc d'extrême gauche contre la démagogie lepéniste. La constitution d'un tel front de l'extrême gauche, sur des bases politiques parfaitement claires, sans concessions à la gauche gouvernementale, reste un combat à mener. Il appartient à la gauche de la LCR de ne surtout pas y renoncer.

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