La mort d'Antoine Riboud. Un grand patron salué par les siens et leurs valets10/05/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/05/une1763.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

La mort d'Antoine Riboud. Un grand patron salué par les siens et leurs valets

Le décès dans son lit, à 83 ans, d'Antoine Riboud, créateur du groupe Danone, a déclenché un flot d'éloges venus de tous bords.

Des milieux patronaux, bien sûr : Bernard Arnault, président de LVMH, Umberto Agnelli, président du groupe Fiat, François Pinault, patron du groupe Pinault-Printemps-La Redoute, n'ont pas trouvé de mots assez élogieux à l'adresse de leur compère. Le quotidien de droite Le Figaro, dans son édition du 6 mai, salue également la mémoire de cet homme de la bourgeoisie. Riboud aurait, paraît-il, été « un patron non conformiste », « un patron social ». Mais surtout, explique ce même quotidien qui sait saluer les valeurs qui comptent pour un grand capitaliste, il a été « un patron gérant au plus serré les effectifs pour dégager la meilleure rentabilité possible ».

C'est en effet l'exploitation, la vie et la sueur de milliers d'ouvriers en France, mais aussi aux Etats-Unis, en Chine, en Russie et dans bien d'autres pays, qui ont permis à Antoine Riboud puis à Franck Riboud, le fils héritier, de faire de Danone le premier groupe agro-alimentaire français et une multinationale florissante, affichant 14,4 milliards d'euros (près de 95 milliards de francs) de chiffre d'affaires. De la part des milieux patronaux, saluer pareille réussite n'a somme toute rien que de très normal. Mais Le Monde n'est pas en reste et parle de « patron jovial et rusé, social et visionnaire », tout en retraçant, dans son édition du 7 mai, le parcours de ce grand capitaliste, rejeton d'une famille de banquiers lyonnais, cancre à l'école mais doté de « la bosse du commerce », ayant gagné son étiquette de « patron social et de gauche » en faisant, entre autres choses, copain-copain avec Mitterrand et Bérégovoy (à qui il donnait des cours du soir !) et en révélant son salaire de quelque 5 millions de francs mensuels sur un plateau de télévision, en 1989.

L'empire Danone - aujourd'hui organisé autour de la production des produits lai tiers, des eaux minérales et des biscuits - s'est bâti en quelque vingt ans, à coups de rachats et de ventes d'entreprises, de regroupements et de séparations. BSN, Gervais-Danone, Amora, les champagnes Pommery et Lanson, la Générale Biscuit et LU, mais aussi les eaux minérales Perrier, la bière Kronenbourg, les pâtes Panzani, les fromages Galbani, etc., etc., passèrent sous le contrôle d'Antoine Riboud, qui n'hésita pas à s'en défaire lorsque les affaires et les profits l'exigèrent. Ainsi en 1975, BSN supprima 22 usines et 10 000 emplois. « Une fermeture d'usine ou un plan de licenciements ne lui ont jamais fait peur », commente Le Monde, entre deux éloges... sans même rappeler qu'au printemps 2001, sous prétexte de réorganisation de la branche biscuits et des usines LU, le fils Riboud décidait de fermer six usines et de supprimer près de 2000 emplois, dont près de 600 en France, afin d'augmenter sa rentabilité financière et de mieux servir ses actionnaires.

Les traditions « sociales » se perpétuent chez les Riboud, aurait pu ajouter Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, qui rend elle aussi un vibrant hommage à celui qu'elle désigne comme « un humaniste » qui « avait la conviction que la force d'une entreprise réside autant dans son capital humain que dans ses résultats financiers ». Les travailleurs de LU, mis à la porte l'an dernier avec la bénédiction de ce «grand humaniste », apprécieront.

Enfin, dans Libération, dont Danone a été de 1981 à 1996 l'un des principaux actionnaires, Serge July s'est fendu d'un long éloge, ému et ronflant, pour celui qu'il appelle son ami Antoine, cet homme qui « avait la passion communicative d'entreprendre ». Une amitié bien sûr totalement désintéressée...

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