Cette "République" qu'ils nous ressortent du placard10/05/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/05/une1763.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Elections présidentielles

Cette "République" qu'ils nous ressortent du placard

« Pour la République, Oui », en énorme avec un bulletin Chirac glissé dans une urne, faisait la Une de Libération, samedi 4 mai. Le surlendemain, le même journal étalait à nouveau à la Une : « 82 % pour la République. Ouf » et ouvrait son dossier élection par un titre sur deux pages : « Jacques Chirac réélu par la République ». Quant à l'état-major de ce dernier, il avait annoncé choisir symboliquement la place de la République, à Paris, pour fêter la victoire de Chirac au second tour.

Dans la presse et les discours politiques de ces dernières semaines, le mot « République » a fait un retour en force. Et de façon d'autant plus remarquée qu'il y a peu encore, personne ou presque n'aurait songé à l'employer tant il passait pour « ringard ». Sauf Chevènement et son « Pôle républicain », ou ceux qui, dans la même veine, se seraient avisés de développer le sigle CRS - Compagnies républicaines de sécurité. Qu'est-ce donc que cette République dont ils nous parlent, en prétendant l'opposer à Le Pen, alors que ce dernier ne se fait pas faute de l'évoquer ?

Certes, le terme évoque bien des choses. A commencer par l'époque où la chose n'existait pas encore et, du coup, les combats du passé pour imposer la forme républicaine de gouvernement sur les survivances monarchiques d'avant la Révolution française. Ce qui donna lieu d'ailleurs à de nombreux compromis entre les deux : ainsi Napoléon se fit-il d'abord nommer « Empereur de la République française », ce qui, surtout aujourd'hui, semble incompréhensible.

Mais, si des hommes politiques et journalistes actuels « républicanisent » à tout-va, et de façon d'autant plus étonnante que subite, ce n'est pas par amour de l'Histoire, même avec un grand H. C'est qu'ils ont choisi de s'emparer de ce mot, vidé de sens aux yeux d'un très large public, pour en faire le dénominateur commun à la campagne que les uns et les autres ont menée entre les deux tours de la présidentielle afin de « rassembler »... derrière Chirac. C'est précisément parce que cette idée était considérée par beaucoup comme ne voulant plus rien dire, qu'elle pouvait sembler insignifiante, n'engageant à rien et donc acceptable, que les leaders de la gauche gouvernementale en ont fait un usage si enthousiaste qu'il a, sinon étonné, en tout cas paru amuser leurs homologues de droite. Ceux-ci considèrent en effet qu'évoquer la République fait plutôt partie des accessoires de la droite.

Depuis De Gaulle, de l'UNR au RPR, le principal parti de la droite a toujours revendiqué la « République » dans son sigle. Et, en juin 1968, c'est au cri de « Il faut sauver la République », que les Debré, Pasqua, Malraux et autres avaient rameuté les bien-pensants réactionnaires contre la grève générale de la classe ouvrière et, accessoirement, rebaptisé CDR - Comités de défense de la République - la milice gaulliste des SAC, en y intégrant des truands et des hommes de main de l'extrême droite.

Evidemment, cela aussi peut sembler appartenir au passé. Encore que... Les drapeaux tricolores que l'on a vus fleurir lors des manifestations anti-Le Pen,

c'était d'habitude dans les casernes et les manifestations de droite, voire d'extrême droite, qu'on les rencontrait. Si, pour une fraction de la jeunesse qui participait là à ses premières manifestations, cela pouvait sembler n'avoir rien de choquant, les organisateurs de ces manifestations, leurs partis et organisations, eux, ne l'ignoraient pas. Mais cela faisait partie de la politique qu'ils avaient choisie, celle du ralliement à Chirac, avec tout ce que cela impliquait - l'exaltation de la « République » et du drapeau tricolore chers à la droite - sous prétexte de « faire barrage » à Le Pen et, en fait, pour éviter que ce qu'ils appellent « le peuple de gauche » ait la tête à autre chose. Par exemple, à discuter des véritables raisons de la présence de Le Pen au second tour de la présidentielle, c'est-àdire de l'effondrement de la gauche gouvernementale provoqué par la politique qu'elle avait menée durant cinq ans.

C'est d'ailleurs pourquoi tous ceux qui, à la tête des partis et journaux dits de gauche, « républicanisent » à qui mieux mieux n'ont même pas osé rappeler qu'il fut un temps - toute une partie du XIX' et du XX' siècles - où le mot « République » était traversé par les clivages sociaux et politiques. Il fut même l'enjeu d'une lutte acharnée entre les tenants de la république bourgeoise, drapés dans le tricolore et massacreurs des ouvriers de 1848 et des Communards de 1871 qui, eux, combattaient, sous le drapeau rouge, pour la « République universelle du Travail », la république des travailleurs, la « sociale » comme ils disaient. Alors, cette « république » tout court, les travailleurs peuvent la laisser, malgré ce qui peut les diviser, aux Chirac, Le Pen, Chevènement, mais aussi aux Hollande, Aubry et Hue, la «sociale», elle et elle seule, appartient au monde du travail, à l'histoire de ses luttes pour un avenir digne de l'humanité.

Partager