Le 5 mai, surtout pas Le Pen, mais pas Chirac non plus !03/05/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/05/une1762.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Politique

Le 5 mai, surtout pas Le Pen, mais pas Chirac non plus !

La présence de Le Pen au deuxième tour est moins due à la progression de l'électorat d'extrême droite qu'à la débâcle électorale du Parti Socialiste. Malgré le recul important de l'électorat socialiste, l'écart entre Le Pen et Jospin est inférieur à 200 000 voix et si le candidat socialiste a été écarté, c'est en raison d'une Constitution qui ne laisse que deux candidats en présence au deuxième tour.

Les effets conjugués de l'effondrement socialiste et des règles électorales ont été encore accentués par la bêtise des autres partis de la Gauche plurielle par rapport à leur propre camp. Alors pourtant que, pendant cinq ans, ils ont mené la même politique, celle de Jospin, et qu'ils se préparaient à voter pour lui au second tour, c'est à dire à réaffirmer leur accord politique, ils ont éprouvé le besoin de présenter chacun un candidat pour de basses raisons de partage des circonscriptions ou même de places de ministre, divisant ainsi l'électorat de la Gauche plurielle, largement suffisant pour faire passer Jospin devant Le Pen.

Le Parti Socialiste comme, à des degrés divers, l'ensemble de la Gauche plurielle paient la politique menée par Jospin pendant cinq ans, son incapacité à s'opposer aux licenciements collectifs, sa contribution à la généralisation de la précarité, à la dégradation des conditions d'existence d'une grande partie des classes populaires. Cette politique est responsable non seulement de l'échec électoral de Jospin mais aussi du maintien de l'influence électorale de l'extrême droite à un niveau élevé et, chose grave, dans certaines couches des classes laborieuses.

Au pouvoir la majeure partie des vingt dernières années, le Parti Socialiste aura largement contribué à creuser le lit de l'extrême droite car le chômage et la misère dans les quartiers populaires ont tout naturellement pour conséquences non seulement la montée de la petite délinquance mais aussi celle de la « peste brune ».

Et voilà que l'ensemble de la Gauche plurielle conclut sa propre débâcle par un ralliement lamentable à Chirac. Incapable de proposer une autre politique, incapable même souvent de critiquer celle qu'elle a menée pendant cinq ans, la gauche réformiste s'aplatit devant l'homme de droite Chirac, représentant direct du grand patronat. Par cette manoeuvre pitoyable, justifiée, pour les besoins de la cause, par le danger supposé d'une victoire de Le Pen, alors qu'elle sait qu'il n'y a aucun risque que Le Pen soit élu, la gauche espère faire oublier ses propres responsabilités. En se ralliant à Chirac, la gauche gouvernementale fait elle-même la démonstration qu'il n'y a pas de différence entre la gauche et la droite dite républicaine. Elle contribue à transformer le deuxième tour de la présidentielle en plébiscite pour Chirac.

Chirac n'a même pas besoin de se poser en « sauveur de la République ». La gauche le fait pour lui. Lui, il peut, tout en menant sa propre campagne vers la droite, commencer à mener la campagne législative de son camp, en poussant à la création d'un grand parti unifié de la droite. Par ailleurs, en associant ostensiblement à certains de ses meetings des hommes de droite ouvertement alliés dans le passé au Front National, en s'en prenant ouvertement aux immigrés, en mêlant le thème de l'insécurité et celui de l'immigration, il montre à quelle fraction de l'électorat il veut plaire dans la période à venir.

Comment la gauche pourrait-elle, après avoir plébiscité Chirac, s'opposer, si même elle le voulait, aux mesures réactionnaires et antiouvrières qu'il prendra après son élection triomphale ? Eh bien, la réponse est claire : elle ne s'y opposera pas. Et elle s'y opposera d'autant moins que, sur bien des questions d'actualité, si Chirac copiera sans mal Le Pen, la résistance de la gauche sera d'autant plus molle que leurs politiques respectives se ressemblent. Qu'il s'agisse du discours sécuritaire, du tout répressif, de l'attitude infâme envers les travailleurs immigrés attaqués sous le nom de « sans-papiers », la politique que Le Pen annonce avec une brutalité vulgaire et Chirac avec une dignité mielleuse et républicaine, la gauche la partage avec hypocrisie.

Le Pen parle aujourd'hui de camps de transit pour les immigrés sans papiers. Mais la droite comme la gauche pratiquaient déjà les centres de rétention. Le Pen se veut impitoyable pour les jeunes délinquants. Mais la gauche a suivi la droite pendant la campagne électorale pour parler de centres d'enfermement.

Le Pen s'en prend ouvertement aux retraites au bénéfice des fonds de pension, c'est à dire pour ceux qui peuvent faire des économies. Mais Chirac ne dit pas autre chose. Quant au Parti Socialiste, ses leaders répètent depuis plusieurs mois qu'il faut réformer le système des retraites, ce qui annonçait la même offensive contre les retraites les plus modestes.

Le millionnaire Le Pen met en tête de ses revendications la suppression de l'impôt sur la succession et de l'impôt sur le revenu. Mais, en cela, il se contente de pousser jusqu'au bout la logique des mesures de tous les gouvernements successifs, aussi bien ceux de droite que de gauche et qui consistent à diminuer les impôts des riches.

Le Pen s'affirme partisan d'une réduction brutale du nombre de ce qu'il appelle les fonctionnaires, c'est-à-dire des travailleurs des services publics, des transports collectifs, de l'Education nationale et des hôpitaux. La droite parlementaire promet la même chose. Mais c'est ce qu'a fait également le gouvernement Jospin, ouvertement ou discrètement, pendant cinq ans.

Alors, que la gauche bourgeoise achève sa déroute électorale en rampant aux pieds de Chirac, cela lui ressemble, mais les conséquences en seront graves pour le monde du travail. Les ténors du Parti Socialiste, du Parti Communiste ou des Verts laissent entendre, prudemment pour ne pas gêner Chirac, que les législatives pourront constituer une sorte de revanche. Mais, d'abord, il n'est pas dit que leurs votes suicidaires en faveur de Chirac au deuxième tour de la présidentielle n'incitent pas une partie de leur électorat à voter pour les candidats de la droite au nom du même argument de « barrer la route au Front National » qui aura des candidats partout. Mais quand bien même la gauche l'emporterait aux législatives, il n'en résulterait qu'une nouvelle cohabitation, que Chirac pourra interrompre, s'il le juge nécessaire, en dissolvant l'Assemblée.

Par ailleurs, cette unanimité de la caste politique, de la droite à la gauche, autour de Chirac consacre l'ambition de Le Pen à se poser en « chef de l'opposition au système » alors qu'il en est partie intégrante.

Pour notre part, nous ne participerons pas cette mascarade. Nous appelons dans cette élection les travailleurs, les classes laborieuses, à refuser leurs votes au millionnaire réactionnaire et démagogue Le Pen car c'est un ennemi féroce du monde ouvrier. Et l'avenir qu'il souhaite pour les travailleurs, c'est de les faire marcher au pas pour le plus grand bien du grand patronat. Aujourd'hui, il ne fait que tenter de diviser le monde du travail entre sa composante d'origine française et sa composante d'origine immigrée. S'il en a la possibilité, demain il brisera ses libertés démocratiques, ses droits de se réunir, de se syndiquer et de se défendre. Alors, il faut faire en sorte, auprès de ceux, chômeurs ou travailleurs, qui se sont laissé entraîner vers le vote Le Pen par dégoût de la politique et des trahisons des partis de gauche, de faire diminuer le nombre des votes en faveur de Le Pen.

Mais nous appelons en même temps à ne pas voter pour Chirac car, s'il est élu avec un très grand nombre de voix venant des classes populaires, il se prévaudra de ces votes pour prendre les mêmes mesures qu'aurait prises Le Pen. Le Medef d'ailleurs s'apprête, paraît-il, à appeler à voter Chirac.

En conséquence, Lutte Ouvrière n'appelle pas à l'abstention. Elle appelle à voter nul ou blanc en mettant, par exemple, une enveloppe vide dans l'urne. Certes, les votes bancs ou nuls ne compteront pas dans le calcul en pourcentage des résultats des candidats du deuxième tour. Voilà, d'ailleurs, un autre aspect antidémocratique des règles électorales. Mais, en revanche, ni Le Pen ni Chirac ne pourront comptabiliser ces votes blancs ou nuls pour leur propre compte. Contrairement à la propagande aussi stupide qu'intéressée de toute la caste politique, ce ne sont pas les pourcentages qui compteront mais le nombre de femmes et d'hommes en chair et en os qui auront voté en faveur de Le Pen et de Chirac. Alors, il faudra que ce nombre soit le plus petit possible pour l'homme d'extrême droite Le Pen, sans pour autant augmenter le nombre de votes en faveur de l'homme du grand patronat Chirac.

Ce sera une façon de préserver la dignité des travailleurs dans cette élection, malgré et contre les sirènes des partis bourgeois de gauche et de droite qui veulent les embrigader électoralement derrière Chirac. Il faut combattre Le Pen sans dédouaner les partis de la bourgeoisie. C'est la seule façon de préserver l'avenir. Car le grand patronat, la grande bourgeoisie continueront et sans doute aggraveront leurs attaques contre les classes laborieuses. Et l'issue finale ne dépendra pas des urnes mais de la lutte de classe. Et c'est de la lutte de classe et du renforcement de la conscience de classe dans le monde du travail que se décidera aussi le combat indispensable contre Le Pen, le Front National et la régression qu'ils représentent.

(Déclaration d'Arlette LAGUILLER à la conférence de presse du lundi 29 avril)

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