La politique du "moindre mal" a souvent préparé le pire03/05/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/05/une1762.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Politique

La politique du "moindre mal" a souvent préparé le pire

L'argument présentant Chirac comme un « moindre mal » face à Le Pen a été ressassé sur tous les tons. Celui que, quelques jours avant, Hue qualifiait encore de « super-réac » et que le député PS Montebourg voulait traîner devant les juges, devint subitement un « républicain » chargé de «faire barrage » à Le Pen.

Cette mystification un peu délirante n'a rien de neuf, et encore moins de réjouissant. Car dans nombre de pays et à bien des époques, travestir un politicien de droite en « républicain » « moins pire » que d'autres a beaucoup servi. Cela a toujours abouti à désarmer les classes populaires face à leurs ennemis, et bien souvent, à les livrer à leurs bourreaux.

Dans l'Allemagne des années trente, on fit jouer ce rôle du « moindre mal » à un hobereau réactionnaire, le maréchal Hindenburg. En 1933, juste neuf mois après son élection à la tête de l'Etat, Hindenburg choisit Hitler comme chancelier et l'installa au pouvoir alors qu'on avait prétendu qu'il lui barrerait la route. En France, en 1958, c'est un général au passé d'extrême droite, qui avait, dix ans auparavant, créé un parti fascisant, le RPF, que Guy Mollet, le leader du PS d'alors, alla chercher en personne pour qu'il « sauve la France ». De Gaulle poursuivit la guerre d'Algérie durant quatre ans ; il couvrit le massacre de manifestants algériens par la police parisienne en octobre 1961, puis l'assassinat de neuf manifestants membres ou proches du PCF par la police de Papon. Il mit aussi en place un système électoral qui réduisit la représentation parlementaire des partis de gauche -surtout celle du PCF - et, plébiscité à plusieurs reprises avec l'appui de la gauche, il imposa pendant dix ans ce que cette gauche qualifiait de « pouvoir fort ».

En 1973, au Chili cette fois et juste avant qu'il n'y procède à un sanglant coup d'Etat, c'est le ministre de la Défense d'Allende, le général Pinochet, que la gauche de là-bas présentait comme un rempart contre un retour en force de l'armée. En défendant la présence de Pinochet dans le gouvernement d'Allende, la gauche gouvernementale chilienne couvrit les militaires qui arrêtaient et torturaient les militants qui dénonçaient leur coup d'Etat en préparation. En renforçant le camp des généraux, cette politique ne fit que préparer le terrain à leur coup d'Etat et à ses suites - l'incarcération de dizaines de milliers de militants et sympathisants des mouvements ouvriers ou de gauche, l'assassinat de nombre d'entre eux, l'instauration d'une dictature sanglante pour des années. Car elle démoralisa la classe ouvrière et la désarma par avance, politiquement encore plus que matériellement. Allende et d'autres politiciens « démocrates » du Chili y ont trouvé la mort. Mais, pire, des milliers de militants et même de simples opposants y laissèrent leur vie et, plus nombreux encore, leur liberté.

De l'Allemagne d'Hindenburg-Hitler, à la France de De Gaulle et au Chili d'Allende-Pinochet, l'histoire ne se répète évidemment pas dans des termes identiques. Mais les raisonnements et les discours des « républicains » professionnels ne se renouvellent pas. Et ces quelques exemples ont au moins une chose en commun, ils montrent tous que la politique dite du « moindre mal » est toujours la porte ouverte à un pire à venir.

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