L'extrême droite en France26/04/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/04/une1761.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Elections présidentielles

L'extrême droite en France

La présence dans ce pays d'un électorat d'extrême droite significatif n'est certes pas une nouveauté. Même si on s'en tient au seul Le Pen, il a obtenu, à chaque scrutin présidentiel, depuis 1988, un total de voix oscillant autour de 4,5 millions de voix, comme le montre notre tableau.

C'est évidemment beaucoup trop de voix pour un homme politique qui s'inscrit dans la tradition de l'extrême droite française, raciste, xénophobe et antiouvrière. Mais s'il pèse si lourd, c'est qu'il s'est développé avec la montée du chômage et de la précarité, pourvoyeurs de misère et d'insécurité.

Car, même si par l'artifice du mode de scrutin lui et son parti sont tenus à l'écart du Parlement, où le Front National n'a aucun représentant, son existence pèse lourdement et de multiples manières sur les partis traditionnels. Le Parti Socialiste vient d'en faire l'expérience, ayant oublié un peu trop vite qu'il avait dû son succès aux législatives de 1997, et donc son arrivée aux affaires, à ce même Front National, dont les voix avaient alors manqué aux candidats députés de droite.

Les naïfs pouvaient espérer que la scission entre Le Pen et Mégret allait mettre un terme à la pression exercée par l'extrême droite sur la vie politique. Les 5,39 % obtenus par Le Pen à l'élection européenne de 1999 avaient pu faire illusion. Mais le " combat des chefs ", auquel s'étaient alors livrés Le Pen et Mégret, n'avait détourné que pour un temps une partie des électeurs de l'extrême droite qui avaient alors porté leur suffrage à la liste menée par deux parlementaires, Pasqua et De Villiers, des politiciens théoriquement " républicains ", mais ne dédaignant pas de chasser sur les terres de Le Pen et Mégret.

L'existence d'un électorat d'extrême droite est malheureusement une constante en France, et de longue date. Il faut rappeler par exemple que le régime de Vichy a fourni de nombreux cadres à la vie politique française ultérieure, à droite comme à gauche, tels un Papon ou un Mitterrand. Plusieurs partis d'extrême droite ont pu se succéder, comme le RPF de De Gaulle en 1951, le mouvement Poujade, qui attirait près de 2,5 millions d'électeurs en 1956, où Le Pen fit ses premières armes, ou l'OAS dans la dernière période de la guerre d'Algérie.

Et même quand les scrutins lui semblaient moins favorables, l'extrême droite pesait d'une autre manière, que cela soit en prônant la poursuite des guerres coloniales en Indochine et en Algérie, ou encore au sein des partis dits " républicains ", comme avec le tristement célèbre " service d'action civique " (le SAC) du mouvement gaulliste, dont Pasqua fut un des membres fondateurs. Ce n'est d'ailleurs pas par hasard si Le Pen a pu débaucher dans le RPR non seulement des cadres politiques dont Mégret fut longtemps un fleuron, mais aussi, en France comme dans le " pré carré " africain de l'impérialisme français, des barbouzes prêts à tous les mauvais coups pour assurer l'infrastructure de son service d'ordre.

En faisant du thème de l'insécurité un thème majeur de la campagne présidentielle, Chirac et Jospin ont fait largement la campagne de Le Pen. Chaque fois qu'ils développaient leurs arguments sur ce sujet, ils invitaient une partie des électeurs à se tourner, comme souvent en politique, vers l'original plutôt que vers sa copie.

La lecture de la profession de foi de Le Pen est de ce point de vue édifiante. Aujourd'hui, pour tenter de détourner les électeurs du vote d'extrême droite, la presse met en relief son opposition à l'Union européenne. Mais c'est bien l'un des rares points où l'extrême droite se distingue des politiciens traditionnels désormais ralliés pour l'essentiel à cette Europe du capital. Car pour le reste, le programme de Le Pen n'est pas différent de tout ce qu'on a pu entendre chez les uns comme chez les autres. Lui aussi affiche la " tolérance zéro pour les délinquants ". Il est pour la réduction des impôts et la baisse des charges des entreprises. Il prône le libéralisme économique et veut créer un régime optionnel de retraite par capitalisation en concurrence avec la retraite par répartition.

Quant à la mise en cause de l'immigration, " marque de fabrique " de Le Pen, qui inquiète évidemment beaucoup et à juste raison la population immigrée, elle a aussi été largement exploitée par Pasqua sous la droite et Chevènement sous la gauche.

Certains sont allés jusqu'à comparer la situation présente à celle de l'Allemagne en 1933. Cela n'a aucun sens si l'on veut nous dire que Le Pen serait dans la même situation qu'Hitler à la veille de la prise du pouvoir. Entre des votes pour Le Pen et l'existence d'un parti fasciste pesant sur toute la société, exerçant une pression physique sur les travailleurs dans les rues, dans les quartiers, il y a un pas que Le Pen heureusement est bien loin d'avoir franchi.

Ces commentateurs férus d'histoire pourraient cependant méditer un épisode de cette période. Lors de l'élection présidentielle de mars 1932, les partis, et parmi eux le parti socialiste allemand, firent le choix d'appeler à soutenir la candidature du maréchal Hindenburg censé être " le moindre mal " contre Hitler. Et ce fut ce même Hindenburg qui remit le pouvoir à Hitler, un an plus tard et... en toute légalité.

Fort heureusement, on n'en est pas là. Mais, sous prétexte de faire barrage à Le Pen, les travailleurs n'ont pas à voter pour un Chirac qui n'aura qu'une hâte, une fois élu : utiliser son succès électoral pour imposer une politique antiouvrière, oubliant dès le soir du second tour que des voix de gauche sont venues à sa rescousse.

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