Les négriers de l'hotellerie26/04/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/04/une1761.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Les négriers de l'hotellerie

Jeudi 18 avril, les grévistes d'Arcade (une société de nettoyage) ont envahi le siège social d'Accor, Tour Montparnasse, à Paris. Et pour cause, Accor, deuxième groupe hôtelier français et troisième de sa catégorie à l'échelle européenne, sous-traite à Arcade l'entretien des chambres d'une centaine de ses 1200 hôtels du pays, à des conditions de travail si médiocres et de salaire si basses que des femmes de chambre d'Arcade se sont mises en grève.

Originaires d'Afrique de l'Ouest dans leur grande majorité, Arcade les a recrutées en donnant la préférence aux candidates, disent des grévistes, qui ne savent ni lire ni écrire. Cela, bien sûr, afin d'éviter les " complications ", car l'exploitation à laquelle les soumet Accor, via Arcade, se double d'un système de travail à la tâche, dissimulé et parfaitement illégal.

Alors qu'Accor demande à son propre personnel de faire seize chambres en huit heures, Arcade impose au sien vingt à vingt-trois chambres en six heures, soit plus du double. Une tâche impossible à effectuer dans le temps imparti. Du coup, ou bien les salariées d'Arcade ne viennent à bout de leur travail qu'au prix d'heures supplémentaires non comptabilisées, donc non payées, ou bien elles s'en tiennent à leur horaire officiel, et alors on ampute leur paye. Dans tous les cas, elles touchent moins que le Smic horaire. Ainsi, embauchées avec des contrats à temps partiel (bien sûr non choisi), elles doivent trimer à plein temps pour toucher une paye que l'on n'ose qualifier de complète.

Gênés de la contre-publicité que cette grève fait à leur groupe, les dirigeants d'Accor prétendent ne rien savoir de cette situation. Ils arguent du fait qu'ils n'auraient pas à s'immiscer dans les affaires de leurs sous-traitants en prétendant que, s'ils venaient à apprendre que ceux-ci ne respectent pas le droit du travail, ils rompraient leurs accords de sous-traitance... Tu parles !

Comme nombre d'employeurs, Accor recourt à la sous-traitance précisément pour abaisser ses coûts de revient. Diverses sociétés sont mises en concurrence, le contrat revenant à celle qui propose le tarif le plus bas (ici, 2,30 e par chambre dans un deux-étoiles), tarif qui ne peut être tenu qu'en surexploitant les salariés du sous-traitant. Ainsi, selon des syndicalistes de l'hôtellerie, le personnel de chambre Accor toucherait 1220 e par mois contre moitié moins (610 e à 760 e) pour celui d'Arcade ! Outre les pauses-repas qu'Arcade n'accorde pas à son personnel et une flexibilité accrue (le sous-traitant impose des horaires qui varient au gré des besoins des hôtels), le gain est énorme pour le donneur d'ordres : compte tenu des cadences et des salaires, les salariées d'Arcade coûtent... quatre fois moins à Accor que du personnel " maison " !

Les clients d'Accor (les chaînes hôtelières Mercure, Sofitel, Suithôtel, Novotel, Ibis, Etap, Formule 1, Atria, etc., mais aussi le groupe Ticket-Restaurant) peuvent ignorer à quel véritable esclavage des temps modernes ce groupe condamne celles qui, après leur départ, font les lits, passent l'aspirateur, nettoient les sanitaires. Mais de telles méthodes, que l'on retrouve dans bien des sociétés de nettoyage - et pas seulement dans l'hôtellerie -, ne peuvent bien sûr pas passer inaperçues des autorités. Seulement, elles laissent faire. Et cela n'émeut pas plus les revues économiques spécialisées qui tressent des lauriers aux gestionnaires " avisés " d'Accor pour avoir fait passer leur résultat net (bénéfice après impôt) de 447 à 498 millions d'euros en un an !

" Leader de l'hôtellerie économique " en Europe, selon le Grand Atlas des entreprises 2002, Accor n'économise pas ceux qu'il exploite. Alors, espérons qu'avec leur grève, ses " petites mains " du ménage les obligeront, lui et leur employeur nominal, à respecter un peu plus leurs droits ainsi que leurs conditions de travail et de salaire.

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