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Rendre publics les comptes des entreprises, une nécessité
Les détracteurs de notre programme évoquent la " naïveté " de la proposition de rendre publique la comptabilité des grandes entreprises pour mieux en discréditer l'idée. On a même vu un prétendu " spécialiste " en économie du Monde nous répondre que celle-ci est déjà publique et publiée en détail pour les actionnaires, notamment des grands entreprises cotées en Bourse ! Soit c'est lui qui est naïf, soit il prend ses lecteurs pour des imbéciles.
En effet, à en croire de tels défenseurs du capitalisme, la production et les affaires se feraient dans la plus grande transparence, rendant ainsi inutile tout contrôle de la population. Mais d'abord, ces comptes détaillés sont à destination des actionnaires et non pas de l'ensemble des salariés, ce qui fait une sacrée différence. Et puis, trimestriels ou annuels, ces comptes sont loin de donner une idée précise de la situation financière d'une entreprise ou de la fortune de ses actionnaires. Et c'est bien là le problème !
Les comptes, ceux des grandes sociétés cotées en Bourse comme ceux des plus petites, à l'instar des budgets des petites communes ou des grandes villes, sont par nature opaques et accessibles aux seuls initiés, flanqués d'experts financiers et comptables pour les lire. Et puis les sociétés disposent d'un important arsenal juridique et comptable leur permettant de truquer leur comptabilité en toute légalité et de faire dire aux chiffres ce qu'ils veulent bien leur faire dire. La récente faillite du courtier en énergie américain, Enron, en témoigne. Les dirigeants de la société avaient créé plusieurs centaines de filiales dans des paradis fiscaux pour masquer les pertes, et cela avec la complicité des experts financiers du cabinet Andersen. Ils ont vendu des millions de dollars d'actions juste avant la chute de la société, tout en conseillant à leurs salariés de continuer à en acheter ! Le patron d'Enron ainsi qu'une poignée d'actionnaires sont aujourd'hui à l'abri du besoin, tandis que les petits actionnaires - dont les salariés qui avaient acheté ces actions pour payer leur retraite - ont tout perdu.
L'idée que les actionnaires seraient au courant de la situation de l'entreprise dans laquelle ils ont investi une partie de leurs économies ou de leur fortune simplement en lisant les comptes, est un leurre. On est bien loin de la transparence ! Sont au courant ceux qui détiennent le pouvoir et tirent les ficelles : les membres des conseils d'administration, les grands actionnaires et eux seuls. On se souvient encore des milliers de petits actionnaires qui ont été grugés et qui ont perdu toutes leurs économies dans le scandale d'Eurotunnel.
Contrôler vraiment les comptes des entreprises signifierait savoir d'où vient l'argent, suivre les circuits qu'il emprunte, et être en mesure de déterminer s'il sert à la spéculation boursière, à enrichir des parasites ou bien à être réinvesti dans la production. Contrôler les comptes en banque des actionnaires, leur patrimoine mobilier et immobilier, doit servir à savoir ce que devient la richesse créée par le travail humain.
Cela permettrait de lever le voile sur les combinaisons opaques du monde des affaires et les escroqueries dont le patronat est coutumier - ce qu'on appelle pudiquement les " affaires " - en totale complicité avec les banquiers et le pouvoir politique. Comme par exemple l'escroquerie qui consiste à délocaliser une usine d'une région à une autre du pays pour toucher des subventions. Régionales ou nationales, ces subventions sont perçues par les patrons soi-disant pour embaucher. Mais rien ne les empêche de licencier quelque temps plus tard car il n'existe pratiquement aucune contrepartie. Les " plans sociaux " de Danone à Moulinex, de Daewoo à Mitsubishi en témoignent ; le groupe Daewoo en Lorraine se payant même le luxe de demander plus de subventions pour ne pas licencier ! En contrôlant les comptes, les travailleurs pourraient faire l'état des lieux, réel, de la fortune des actionnaires et des membres de leurs familles qui se sont enrichis en exploitant les salariés pendant des décennies, tout en empochant les subventions gouvernementales. Ils pourraient exiger le remboursement de cette richesse acquise frauduleusement par les actionnaires et qui appartient à la société toute entière.
Quand le patron d'Enron, par exemple, affirme avoir " tout perdu " dans la faillite de son entreprise, il ment car il n'est pas sur la paille contrairement aux salariés qui ont été remerciés par un simple coup de fil. Il oublie de mentionner les 70 millions de dollars d'actions vendues juste avant la chute de la société et les 300 millions de dollars de salaires, de primes, empochés ces dix dernières années ainsi que les nombreuses villas dont il a la jouissance !
La bourgeoisie elle-même d'ailleurs ne se prive pas de mettre le nez dans les comptes de certaines entreprises privées ou publiques quand cela s'avère nécessaire. Elle n'hésite pas quand il s'agit de ses propres intérêts, à lever le secret bancaire et commercial. La Cour des comptes le fait déjà quand elle dévoile certains détournements de fonds publics ou quelques gaspillages de deniers de l'État. La justice bourgeoise le fait aussi parfois, ainsi que le fisc. Ni les uns ni les autres, dans ces cas-là, ne se contentent de lire les comptes trimestriels ou annuels des sociétés concernées !
Alors pourquoi les travailleurs qui produisent les richesses seraient-ils les seuls à n'avoir aucun droit de contrôle sur la façon dont elles sont utilisées ? Rendre publics les comptes des entreprises, lever le secret commercial et bancaire est une nécessité pour les travailleurs. C'est à ce propos que Trotsky écrivait : " Les premières tâches du contrôle ouvrier consistent à éclaircir quels sont les revenus et les dépenses de la société, à commencer par l'entreprise isolée ; à déterminer la véritable part du revenu national qui est appropriée par chaque capitaliste isolé et par l'ensemble des exploiteurs ; à dévoiler les combinaisons de coulisses et les escroqueries des banques et des trusts ; à révéler enfin, devant toute la société, le gaspillage effroyable de travail humain qui est le résultat de l'anarchie capitaliste et de la pure chasse au profit ".
Et voilà bien justement ce que craignent tant les bourgeois et leurs plumitifs !