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Italie : Une journée de grève générale
Usines et lieux de travail désertés, transports paralysés, manifestations massives dans 21 grandes villes, la grève générale du 16 avril en Italie aura été une belle démonstration de force pour les syndicats, et surtout pour l'ensemble des travailleurs italiens. Après la manifestation nationale du samedi 23 mars à Rome, appelée par la seule CGIL - la CGT italienne -, cette fois la grève générale avait lieu à l'appel des trois confédérations syndicales. Les deux confédérations CISL et UIL (comparables, en France, à la CFDT et FO), ont dû se rallier à l'initiative de la CGIL, alors que, dans un premier temps, elles avaient tenté de jouer le jeu de la discussion séparée avec le gouvernement Berlusconi. Aujourd'hui, il est clair que si elles avaient persisté dans cette attitude, alors que de nombreux militants CISL et UIL ont défilé le 23 mars avec la CGIL, elles risquaient de se discréditer totalement auprès de leur propre base.
Les journées du 23 mars et du 16 avril sont donc un succès pour Cofferati, le dirigeant de la CGIL. Celui-ci a réussi à constituer autour de lui un front syndical contre le projet du gouvernement Berlusconi d'abolir " l'article 18 ", cet article de loi inclus dans le " statut des travailleurs " adopté en 1970, après les luttes ouvrières de 1968-1969, et qui protège les travailleurs des entreprises de plus de quinze salariés contre les licenciements sans " juste cause ". Grâce à cet article, en cas de licenciement abusif, les employeurs peuvent être condamnés à réintégrer le travailleur concerné. C'est bien pourquoi ils en demandent l'abolition, au nom de la nécessaire " flexibilité " du travail, à la mode d'un côté des Alpes comme de l'autre et que le gouvernement Berlusconi a promis d'amplifier encore. Le " Livre blanc " de son ministre Maroni, présenté à l'automne, promet même d'en finir avec tout ce qu'il nomme les " rigidités " du marché du travail, et notamment avec la concertation syndicale.
La CGIL, justement, pendant des années, s'est prêtée à cette concertation dont le résultat a été de remettre en cause bien des acquis sociaux des travailleurs italiens. C'est depuis un an, depuis l'arrivée de Berlusconi au gouvernement, qu'elle se montre plus combative. En effet, alors que ces années de concertation ont affaibli et démoralisé la classe ouvrière, mais aussi discrédité la CGIL elle-même auprès des travailleurs, il est vital pour elle de démontrer qu'elle a encore une influence, une capacité de les mobiliser, et que les projets de Berlusconi d'imposer ses projets à la CGIL en passant par-dessus elle sont une illusion.
Aujourd'hui, la démonstration est donc faite que la classe ouvrière est toujours là, prête à réagir pour peu que la CGIL le lui propose et se montre combative. Et c'est sans doute l'occasion pour nombre de travailleurs, dans les anciennes et dans les nouvelles générations, de reprendre conscience de la force que peut représenter la classe ouvrière lorsqu'elle se retrouve unie pour la défense de ses intérêts, de reprendre confiance en eux-mêmes et dans leur capacité de lutter.
Mais que va-t-il se passer maintenant ? Lors de cette grève du 16 avril, Cofferati a déclaré que la CGIL ne s'arrêtera que quand le gouvernement aura déchiré son projet de réforme de l'article 18. Berlusconi de son côté a annoncé qu'il maintenait ses projets, déclarant seulement qu'il est prêt à reprendre pour cela " le dialogue " avec les syndicats. Ceux-ci, en fait, y sont certainement prêts mais les surenchères entre les différents partis de la majorité de Berlusconi, ainsi que celles du patronat, ne laissent que peu de place aux concessions, au moins de forme, qu'il lui serait nécessaire de faire pour obtenir une remise en cause de l'article 18 négociée avec les syndicats. Le conflit pourrait donc continuer, et mettre à rude épreuve la solidité du gouvernement Berlusconi.
Personne ne se plaindrait, bien sûr, de voir ce magnat de l'audiovisuel promu Premier ministre confronté à des difficultés politiques croissantes. Mais pour la classe ouvrière, l'essentiel n'est pas là. Il faut bien sûr, imposer que l'article 18 soit maintenu. Mais il faut aussi imposer que la protection contre les licenciements soit étendue aux milliers d'autres travailleurs qui aujourd'hui n'en bénéficient pas : les travailleurs des petites entreprises et surtout la masse des travailleurs précaires, en contrat à durée déterminée ou intérimaires, que les patrons ont embauché en tournant l'article sur la " juste cause ". Et puis il faut en fait inverser toute l'évolution qui, ces dernières années, que ce soit avec la gauche ou avec la droite, s'est traduite par une dégradation continue des conditions de travail et de vie, renverser le rapport de forces en faveur de la classe ouvrière.
Pour cela les travailleurs ne peuvent faire confiance à un Cofferati. Celui-ci défend surtout la place de l'appareil CGIL et, demain, peut se montrer prêt à accepter d'un gouvernement de gauche ce qu'il refuse aujourd'hui d'un gouvernement de droite. On en a eu bien des exemples dans le passé.
Alors tant mieux si la situation actuelle, après des années de reculs et de démoralisation, renforce le moral, la conscience, la cohésion des travailleurs italiens. Ils en auront besoin car, pour faire remballer leurs projets anti-ouvriers au patronat et au gouvernement Berlusconi, ou à un autre, ils auront besoin d'utiliser toute leur force ; et pas seulement de la montrer comme le fait Cofferati.