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Dans les entreprises
AZF : Fermeture annoncée, riposte dévoyée
C'est jeudi 11 avril que lors d'un Comité central d'entreprise (CCE) à Paris, les dirigeants de la filiale de TotalFinaElf ont annoncé la fermeture définitive de l'usine de Toulouse. Après avoir lanterné les travailleurs pendant près de sept mois, ils ont justifié leur décision par la non-viabilité économique d'un éventuel redémarrage, mais aussi par le traumatisme créé dans la population par l'explosion. Sous-entendu : " Si on ferme, ce n'est pas notre faute, adressez-vous aux sinistrés ou aux politiques ". Mais depuis quand les dirigeants de trusts tiennent-ils compte de l'opinion des populations pour définir leur politique industrielle ? Les travailleurs de Péchiney-Marignac, au fond du département de la Haute-Garonne, n'ont pas senti, eux, cette compréhension et leur usine sera fermée malgré l'opposition des habitants de toute une vallée, malgré d'ailleurs le soutien d'élus proches du pouvoir.
Hasard du calendrier, le jour même de l'annonce de la fermeture, Arlette Laguiller faisait son meeting à Toulouse... et c'est à ce meeting que les travailleurs du pôle chimique ont été appelés à manifester, pas à Paris où se tenait le CCE.
L' " idée " d'aller chez Arlette fut évoquée lors d'une assemblée des travailleurs du pôle chimique le vendredi précédent. Quelques dirigeants de l'intersyndicale s'en sont donc fait les porte-parole (non désintéressés) et ont transformé cette idée en " action ". Quelques militants du PCF et quelques " syndicalistes " voyaient sans doute d'un bon oeil qu'Arlette Laguiller se fasse interpeller par " des travailleuses et des travailleurs " devant les caméras de télévision. Mais l'opération est apparue pour ce qu'elle était, une tentative de dédouaner les dirigeants de Total de leur propre responsabilité.
Une demi-heure avant le meeting, Lutte Ouvrière avait fait demander à un dirigeant de l'intersyndicale s'il souhaitait faire une intervention en début de meeting pour s'expliquer, mais il ne le souhaitait pas.
Plus d'une soixantaine de salariés vinrent donc, quelques-uns d'AZF et la grande majorité de la SNPE, la deuxième entreprise du pôle chimique (470 salariés) dont l'avenir ne sera scellé qu'après... les législatives, selon les dernières volontés du Premier ministre-candidat Jospin. Mais avant de pénétrer à une cinquantaine dans la salle du meeting, ils ont dû d'abord discuter avec des militants de Lutte Ouvrière qui s'étaient portés à leur rencontre, avec des sinistrés membres du " Collectif des sans- fenêtres " de la cité du Parc, de la cité Tabar ou du Mirail. Les échanges furent vifs de part et d'autre. Mais après les premières invectives, il y eut réellement des discussions qui montraient, à qui voulaient bien écouter, que nous étions tous dans le même camp, même si nos cibles n'étaient pas les mêmes. Quelques salariés, bien sûr, parlaient avec leurs tripes, sous le choc de la fermeture. Pour notre part comme pour les " sans-fenêtres " présents, l'adversaire commun à tous, ce sont les dirigeants de Total, mais aussi les pouvoirs publics coupables de les avoir laissé faire. C'est à eux d'assumer une fermeture qui ne lèse aucun travailleur en garantissant à tous, sous-traitants compris, salaire et emploi à Toulouse. Certains travailleurs d'AZF ou de la SNPE furent ébranlés, même s'ils n'étaient pas convaincus et restaient bien souvent sur le thème de la défense de leurs usines.
Les plus virulents et hermétiques à la discussion, quelques syndicalistes et membres du PCF, voyaient en Arlette Laguiller une " ennemie des travailleurs "... puisqu'elle ne défendait pas la chimie toulousaine et ne pensait qu'à faire payer Total ( ! ? ). Ceux-ci rentrèrent dans la salle soutenus par leurs collègues, pour perturber la réunion par des sifflets et des cris, couverts par une partie du public, celui-ci applaudissant Arlette Laguiller ou scandant " Total doit payer ". Quelques travailleurs d'AZF solidaires d'Arlette Laguiller, au fond de la salle portaient une banderole " Tous ensemble exigeons de Total salaire et emploi à Toulouse ", signée " des salariés d'AZF ", banderole apparue lors des manifestations des 21 et 23 mars précédents.
Les perturbateurs sont sortis au bout d'un petit quart d'heure, et s'en sont pris aux journalistes présents à l'extérieur. Mais voici un extrait de ce que dit Arlette Laguiller ce soir-là à propos d'AZF : " Pour commencer ce meeting, je tiens à exprimer mon indignation devant la décision de TotalFinaElf et de son PDG, Desmarets, qui, après avoir lanterné les travailleurs d'AZF pendant sept mois, viennent d'annoncer la fermeture de l'usine, mais sans avoir assuré l'avenir de ses travailleurs... C'est à TotalFinaElf de payer !... Ces messieurs les actionnaires, qui ne font rien de leurs dix doigts pour s'enrichir grâce au travail et aux risques des autres, pourraient bien pour une année se passer de dividendes... Ce n'est pas l'avenir de l'industrie chimique qu'il s'agit de défendre, ni ici à Toulouse, ni ailleurs. C'est le présent et l'avenir des travailleurs ! Oui, il faut que tous les travailleurs dont l'emploi a subi les conséquences de l'explosion, quelle que soit leur entreprise, quel que soit leur statut, continuent à toucher l'intégralité de leurs salaires jusqu'à ce qu'ils trouvent un emploi qui leur convienne. Il faut que les pouvoirs publics et Total créent et financent les emplois et les formations nécessaires au reclassement de tous à Toulouse... "
Depuis, les travailleurs du pôle chimique, essentiellement de la SNPE, ont été appelés par l'intersyndicale à perturber les opérations de mise sous pli du matériel électoral pour les présidentielles : " Puisque ce sont les élections qui perturbent le redémarrage du pôle chimique, on a décidé de perturber les élections " a dit un syndicaliste à la presse.
À l'usine, l'ambiance est morose et les travailleurs sont amers. Beaucoup soldent leur congés et une grosse partie des anciens, qui ont pratiquement tous postulé pour une préretraite (174) malgré une perte de revenus de 10 à 20 %, ne sont plus là. Ceux qui restent sont inquiets pour leur avenir : mutation à Pau ? à Marseille ? ailleurs ? à quelles conditions ? 80 d'entre eux devraient rester sur le site, a dit Desmarets. Et les autres ? Il y a autant d'incertitude et aucun engagement précis de Desmarets sur le maintien des revenus et de l'emploi à Toulouse.
La politique des syndicats n'a pas cherché à unir la lutte des travailleurs avec celle des sinistrés contre le vrai responsable de l'explosion, Total. Au contraire même, puisqu'elle a conduit depuis le début à dédouaner les dirigeants du trust. Cette politique a abouti à l'isolement des salariés comme à l'impasse actuelle.