Arlette Laguiller au Zénith, à Paris, le 14 avril19/04/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/04/une1760.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Elections présidentielles

Arlette Laguiller au Zénith, à Paris, le 14 avril

Le 14 avril le meeting d'Arlette Laguiller au Zénith, à Paris, a réuni plus de 6 000 personnes. Un meeting enthousiaste, chaleureux ; nous publions ci-après des extraits du discours d'Arlette Laguiller.

Travailleuses, travailleurs, camarades et amis,

[...]

Eh bien, pour ma part, je ne prétends pas parler au nom de tous les Français. Je ne prétends pas représenter à la fois les intérêts des patrons licencieurs et de ceux qu'ils licencient. Je ne prétends pas représenter à la fois le baron Seillière et les travailleurs de Valeo ou d'AOM-Air-Liberté dont il s'est débarrassé quand ils ne lui rapportaient pas les 15 ou 20 % de profit qu'il escomptait.

Mon camp à moi est celui des travailleurs.

[...]

Jusqu'à présent, le Parti Communiste suffisait à rassembler les voix des travailleurs autour du Parti Socialiste, Jospin n'avait alors pas à se soucier de ces électeurs dont le PC lui amenait les voix sur un plateau.

La politique du PC depuis des années et, en particulier, sa politique de soutien au gouvernement, lui a fait perdre une grande partie de ses voix, déjà bien diminuées par rapport au passé. Alors, il n'est plus capable d'apporter les voix des travailleurs en paquet-cadeau à Lionel Jospin, sans même que celui-ci s'engage un tant soit peu vis-à-vis des travailleurs. Jospin réalise que les voix qu'il a tenté de gagner sur sa droite, il va les perdre sur sa gauche.

Mais si Lionel Jospin gauchit peut-être un peu son langage pré-électoral, cela ne le fera pas, s'il est élu, changer de programme. Il gouvernera, comme ces cinq dernières années, en loyal gérant des intérêts du grand patronat et des financiers.

Jospin promet de ne pas toucher aux retraites. Mais tiendra-t-il parole ?

Jospin n'a pas aggravé la mesure rétrograde de Balladur sur les quarante annuités, mais il n'est pas revenu dessus. Il n'est pas revenu non plus complètement sur la hausse de la TVA et a encore moins supprimé cet impôt injuste sur la consommation. Pas plus qu'il n'est revenu sur le plan Juppé contre la Sécurité sociale ou sur la vision comptable de la Santé, aussi bien dans les hôpitaux publics qu'au niveau des médecins généralistes. Il n'a pas fait machine arrière par rapport à ce qu'un gouvernement de droite avait fait.

Lors de son meeting récent, ici même au Zénith, Robert Hue s'est vanté de " la période la plus longue " de participation communiste à un gouvernement. Il prétend qu'il faut être au sein du gouvernement pour pouvoir jouer un rôle utile et infléchir sa politique et que les votes en sa faveur serviront à gauchir celle-ci.

Il affirme que les voix qui se porteront sur ma candidature seront des voix perdues. Mais, à quoi ont servi les siennes ?

À l'élection présidentielle de 1995, Robert Hue avait obtenu 2 632 936 voix, soit 8,64 % des suffrages exprimés. Qu'a-t-il fait de ces voix-là ? Il s'en est servi pour obtenir, pour le Parti Communiste, quatre fauteuils de ministre. Des strapontins plutôt ! Cela a servi évidemment aux dirigeants du PC, mais à quoi est-ce que cela a servi aux travailleurs ?

[...]

Qui pourrait citer le nom des quatre ministres communistes qui participent au gouvernement et dire ce qu'ils ont fait ? Marie-George Buffet a peut-être fait quelque chose pour le sport, mais qu'est-ce qu'elle a fait pour les travailleurs ?

Et un nom que les travailleurs connaissent parfaitement, mais pas en bien, c'est celui de Gayssot. Il faut demander aux cheminots ce qu'ils pensent de leur ministre. Il faut demander la même chose aux chauffeurs routiers. Il faut demander aussi aux habitants autour du tunnel du Mont-Blanc...

Bien des travailleurs, ne serait-ce que ceux de la Snecma, pour prendre le dernier exemple en date, sont sûrement comblés de voir la signature de Gayssot sur le décret de l'ouverture de leur entreprise aux capitaux privés, c'est-à-dire le début de sa privatisation.

Les a-t-on entendus, ces ministres du PC, se prononcer sur les licenciements ? On a entendu Robert Hue grogner un peu. Et se dire fier d'avoir obtenu un amendement dérisoire à la loi d'orientation sociale, qui a été arrêté par le barrage du Conseil constitutionnel. C'est cela, le " positif ", en cinq ans de gouvernement ?

Et quant aux deux autres ministres communistes, il n'est pas sûr que, dans cette salle, beaucoup puissent dire leur nom, avec la fonction qu'ils exercent en citant leurs actes positifs.

En échange, le Parti Communiste au gouvernement a cautionné la gestion de ce gouvernement malgré l'évolution dramatique de la situation sociale des travailleurs.

Alors, les ministres communistes d'un autre éventuel gouvernement de gauche feront comme les précédents, ils se tairont quoi qu'il arrive.

[...]

Mais à quoi servira le programme de Robert Hue ? Est-ce qu'il a une chance d'être appliqué ?

Car, à votre avis, lequel des deux programmes, un éventuel gouvernement de gauche appliquera-t-il ? Celui de Robert Hue ? Ou celui de Jospin ?

[...]

C'est Robert Hue qui a entraîné le Parti Communiste dans une impasse politique, qui a démoralisé une grande partie de ses militants et lui a fait perdre énormément d'électeurs.

Ce n'est pas moi qui suis responsable de cette évolution, c'est la politique des dirigeants du Parti Communiste.

C'est pourquoi je m'adresse aussi à tous ces militants du Parti Communiste qui ont, pendant des années, donné beaucoup d'eux-mêmes pour défendre le monde du travail et les conquêtes passées des travailleurs, qui ont été déboussolés par l'alignement de leur parti derrière la politique antiouvrière de Jospin et qui sont démoralisés aujourd'hui devant le nouveau recul électoral que leur parti risque d'enregistrer.

Ce n'est pas de leur faute à eux si la direction du Parti a mené cette politique suicidaire. Alors, je n'ai qu'une chose à leur dire : vous pouvez juger que la seule politique qui corresponde aux intérêts des travailleurs, qui peut permettre de redonner vie à des organisations communistes dans les quartiers populaires, redonner vie aux organisations syndicales, c'est celle que je défends. La seule politique qui peut inverser le rapport de force entre le patronat et les travailleurs, c'est celle que je défends.

Alors, pour être fidèles au combat que vous avez mené dans le passé et que vous menez encore pour beaucoup, rejoignez-nous et, ensemble, nous reconstruirons un véritable parti communiste et nous ferons payer au baron Sellière et à tous ses défenseurs politiques leur avidité et leur hargne contre les travailleurs.

Je leur dis aussi que la meilleure façon de contrebalancer l'influence de Le Pen, ce sont les voix qui se porteront sur ma candidature. Il faut que, face à l'électorat qui s'exprime sur le nom du millionnaire réactionnaire, xénophobe et antiouvrier, s'affirme un électorat d'extrême gauche qui défende fièrement les intérêts politiques et les valeurs de la classe ouvrière !

Les médias annoncent périodiquement comme une révélation que je me revendique des idées communistes.

[...]

Alors oui, je répète que je suis pour une transformation radicale de l'économie et de la société. Je suis pour l'expropriation du grand capital. Je suis pour que les principaux moyens de production de l'humanité soient contrôlés démocratiquement par l'ensemble de la société, au lieu de les laisser sous le pouvoir dictatorial de quelques grands groupes financiers, voire de quelques individus. Et mettre fin à la domination du grand capital, c'est la seule façon de mettre fin à l'impérialisme qu'il est à la mode de désigner, de façon bien impropre, sous le terme de mondialisation.

Et mes idées communistes, je ne les ai jamais cachées, même si certains, par malveillance ou par stupidité, feignent de les découvrir.

[...]

Eh bien, tout en disant clairement que je suis communiste, je ne demande pas aux électeurs de voter pour le communisme mais pour un programme de défense de leurs intérêts vitaux.

Et il est de l'intérêt vital de tout le monde du travail et finalement, d'une grande partie de la population, d'arracher aux grands groupes industriels et financiers le droit de gérer leurs entreprises avec comme seul impératif la hausse des profits et du cours des actions.

C'est pourquoi il faut qu'on mette en lumière les finances de ces grandes entreprises, qu'on rende publiques leurs comptabilités et voir ainsi ce qu'elles gagnent et comment, d'où vient leur argent et ce qu'elles en font, si c'est de l'argent utile à la société comme elles le prétendent ou si elles le dilapident en spéculations boursières.

Il faut aussi rendre publics les comptes en banque de leurs dirigeants et de leurs principaux actionnaires. Il faut savoir quelle est la fortune que ces gens-là gagnent sur le dos des travailleurs.

Pour cela, il faut abolir le secret bancaire et le secret commercial pour toutes les grandes entreprises qui ont une influence considérable sur la vie publique, de celles qui peuvent acheter des groupes de presse entiers, ou des chaînes de radio et de télévision.

Il faut interdire ces licenciements collectifs quand il s'agit de grandes entreprises qui font des bénéfices et licencient quand même. Le gouvernement fait appel au civisme de la population mais soutient de tels agissements.

[...]

Il faut augmenter les impôts des grandes sociétés et des contribuables les plus riches. Il faut que l'État se serve de l'argent ainsi récupéré pour créer des biens collectifs, des logements sociaux, des équipements, des transports qui puissent servir à tous, c'est-à-dire élever le niveau de vie des moins riches. Il faut embaucher autant qu'il est nécessaire dans les hôpitaux, dans l'Éducation nationale, dans les transports publics.

Il faut, en revanche, supprimer les impôts indirects comme la TVA. Ces impôts indirects sur les produits de consommation sont profondément injustes. Ils ne sont pas proportionnels aux revenus. Une famille ouvrière paie 19,6 % sur ses achats indispensables ou sur des appareils ménagers, c'est-à-dire le même taux qu'un riche paie sur un yacht ou un jet privé.

Il est indispensable, aussi, d'arrêter la dégradation continue du pouvoir d'achat des classes laborieuses. Il faut une augmentation générale, uniforme et conséquente des salaires, mais aussi des pensions de retraite, des minima sociaux, des allocations de handicapés.

Il faut rendre plus transparents qu'ils ne sont le budget de l'État à ses différents niveaux et les budgets des grandes villes et les rendre largement accessibles au public.

Et il ne faut plus permettre qu'un élu ne tienne pas les promesses qu'il a faites en étant candidat. Il faut imposer la révocabilité des élus par ceux qui les ont élus.

Oui, tout cela est possible si vous, le monde du travail, proclamez que vous savez que la droite vous opprime et que la gauche vous trahit.

Les scores qu'on me prête expriment sûrement ce mécontentement et peut-être une telle prise de conscience. Ce ne sont que des sondages pour le moment. Mais cela suffit à provoquer la hargne de la classe politique et j'ai bien conscience qu'au fond, à travers moi, c'est vous qu'ils craignent.

Ils ont peur que ces sondages se transforment en suffrages le soir du 21 avril et que j'atteigne, à ce premier tour, peut-être plus de la moitié des voix de Chirac ou de Jospin. Quel désaveu ce serait pour eux !

Mais leur crainte la plus grande serait que ce changement de l'opinion populaire entraîne un changement de rapport de force entre les travailleurs et le grand patronat.

Est-ce que les sondages qui me sont favorables se traduiront réellement en suffrages dimanche prochain ? [...] Ou bien au contraire, ne traduiront-ils pas une montée vraiment significative ?

C'est que 6 %, 7 % et même 8 %, ne signifieraient pas forcément un changement profond dans l'opinion populaire, tout dépend du nombre réel d'électeurs, et l'on prévoit que les abstentions sont plus importantes qu'à la présidentielle précédente. Et 7 % aujourd'hui ne représenteront peut-être pas plus d'électeurs que les un million six cent mille de 1995 avec 5 %.

Cela dit, j'espère que l'évolution de la conscience populaire se traduira réellement, le 21 avril, par des votes, c'est-à-dire des gens en chair et en os, en nombre bien plus grand que précédemment.

De toute façon, au deuxième tour, j'ai déjà dit que je n'appellerai ni à voter pour Chirac évidemment, ni à voter pour Jospin car je ne veux pas cautionner la politique qu'il mène depuis cinq ans.

Et je n'appellerai pas plus à l'abstention, contrairement à ce qu'on me fait dire. Ceux de mes électeurs qui veulent voter pour Jospin au deuxième tour le feront parce qu'ils le veulent. Et ceux qui ne le feront pas, c'est qu'ils n'ont pas envie de le faire.

Mais c'est le premier tour qui compte. Si j'atteins les scores que me prêtent certains sondages, et si j'atteins le double d'électeurs qu'en 1995, soit de l'ordre de trois millions, oui, on pourra se dire que quelque chose a changé et que nombreux sont ceux qui ont pris conscience qu'il manque aux travailleurs un instrument pour se défendre, et que le Parti Communiste a fait la preuve qu'il n'est plus cet instrument.

On saura alors s'il est peut-être possible de construire un nouveau parti communiste, un parti qui ait la volonté de défendre réellement les intérêts économiques et surtout politiques du monde du travail et qui, surtout, ait la force de le faire.

Un parti qui soit une force d'entraînement et qui attire à lui non seulement des travailleuses et des travailleurs, mais une partie importante de la jeunesse, y compris de la jeunesse intellectuelle.

Un parti qui soit présent dans toutes les entreprises, qui ait des militants dans les organisations syndicales de travailleurs.

Un parti qui soit présent dans tous les quartiers populaires et dans toutes les banlieues.

Un parti qui puisse s'opposer par le nombre de ses adhérents aux dérives racistes, chauvines ou xénophobes. Un parti qui puisse aussi s'opposer à l'intégrisme de quelque bord qu'il soit.

Un parti démocratique, bien sûr, où les travailleurs, les jeunes, puissent faire l'apprentissage de la démocratie, de la liberté, du respect des autres, puissent aussi se cultiver et trouvent auprès des autres militants le moyen de le faire.

Oui, il manque un tel parti et je voudrais convaincre plusieurs milliers de ceux qui auraient voté pour ma candidature, de participer à la création de ce parti qui manque tant pour la défense du monde du travail.

Je ne peux pas le créer, contrairement à ce que disent certains, d'un simple appel à la télévision.

Un tel parti, cela veut dire, je le répète, plusieurs dizaines de milliers de personnes qui y adhèrent. Plus mon score sera élevé, plus il y aura de chance que, parmi ceux qui auront voté pour ma candidature il s'en trouve 30, 40 ou 50 000 qui adhèrent à une telle idée et à un tel parti.

Ce n'est pas une prévision, c'est un espoir. Mais l'espoir, c'est déjà beaucoup !

Alors, le 21 avril, choisissez votre camp. Censurez tous ceux qui représentent le patronat, même si c'est avec des langages différents.

Votez pour votre propre camp, le camp des travailleurs !

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