La sale guerre de Sharon12/04/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/04/une1759.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

La sale guerre de Sharon

Le gouvernement Sharon a choisi la guerre, une guerre totale, pour tenter par tous les moyens de briser le peuple palestinien. L'intervention militaire, telle qu'il la mène maintenant depuis plus de deux semaines dans les Territoires occupés, se veut une démonstration de brutalité à usage non seulement du peuple palestinien, mais de l'opinion israélienne elle-même, afin de ne laisser aucune prise aux surenchères de l'extrême droite religieuse, à laquelle Sharon est d'ailleurs en passe de proposer une participation gouvernementale.

Tous les jours apportent donc de nouvelles images de cette guerre sans merci. Villes palestiniennes bouclées, occupées par les chars, privées d'électricité et d'eau potable, maisons détruites, voitures écrasées par les chars, ambulances auxquelles on interdit le passage, blessés que l'on laisse mourir, morts que l'on ne peut enterrer, vivres et médicaments qui n'arrivent plus, malades qui ne peuvent plus se soigner, hôpitaux qui ne peuvent plus fonctionner : tout cela, c'est désormais la vie quotidienne dans toute la Cisjordanie et à Gaza. Ce sont aussi les camps palestiniens conquis maison par maison, les combattants palestiniens assiégés dans la casbah de Naplouse, dans la basilique de la Nativité de Bethléem ou dans le camp de réfugiés de Jenine, un camp qui compte 10 000 habitants. Ce sont les morts par centaines parmi les Palestiniens, mais aussi maintenant les morts nombreux parmi les soldats israéliens, ce sont les centaines d'arrestations opérées par l'armée israélienne.

UNE GUERRE SANS MERCI CONTRE LES PALESTINIENS...

La brutalité, le mépris, la volonté de briser et d'humilier tout un peuple, cette politique choisie par Sharon isole sans doute Israël sur le plan diplomatique, mais ses dirigeants n'en ont cure. L'attitude des Etats-Unis et de leur président Bush, jusqu'à présent, revient à leur laisser les mains libres. Lorsque les Etats-Unis votent au Conseil de sécurité une résolution demandant le retrait israélien des Territoires, cela n'empêche pas George Bush de déclarer le lendemain qu'il " comprend " l'attitude d'Israël, le surlendemain qu'il demande le retrait " sans délai ", et finalement de sembler se contenter de l'annonce par Israël de l'évacuation de deux villes, Tulkarem et Kalkiliya, au motif que là " le travail serait terminé "...

Sans doute, le dirigeant de la première puissance mondiale se ridiculise, lui ainsi que son envoyé Colin Powell qui, envoyé au Proche-Orient pour tenter de régler le conflit, choisit de faire d'abord le tour des capitales arabes afin de ne pas trop déranger Ariel Sharon. Lorsque les Etats-Unis veulent vraiment faire respecter une de leurs décisions par un pays quelconque, ils savent employer d'autres moyens que les quelques mines agacées à l'égard de Sharon prises par George W. Bush devant des caméras de télévision.

Sharon a donc en fait toujours le feu vert des Etats-Unis et il le sait. Il a annoncé que l'armée se retirerait quand elle aurait " fini le travail " et que cela pourrait prendre encore plusieurs semaines, mais qu'en sait-il ? D'autres avant lui, engagés dans de sales guerres coloniales comme celle qu'il mène aujourd'hui, ont annoncé des " derniers quarts d'heure " qui succédaient à d'autres. Le déploiement de forces auquel il se livre dans les Territoires occupés ne pourra pas briser durablement le peuple palestinien. Le siège fait autour du quartier général d'Arafat à Ramallah pourrait bien n'aboutir qu'à renforcer le prestige du leader palestinien auprès de son peuple et dans le monde arabe. Les centaines d'arrestations opérées sous prétexte de lutte contre " le terrorisme " n'empêcheront pas les vocations de naître pour de nouveaux attentats-suicides, et n'apporteront donc pas plus de sécurité à la population israélienne. On l'a vu le 10 avril avec l'attentat commis contre un autobus, en pleine période de bouclage des Territoires, et qui a fait plus de dix morts israéliens.

... PAYÉE AU PRIX FORT PAR LES ISRAÉLIENS

La peur de mourir d'un moment à l'autre dans l'explosion d'une bombe portée par un kamikaze continuera donc à peser sur toute une population. Le coût humain et financier de la guerre risque d'être de plus en plus lourd pour la population israélienne. La liste des morts risque de s'allonger parmi les soldats, parmi les réservistes mobilisés par Sharon pour aller faire le coup de feu dans les Territoires et qu'il engage dans une guerre sans issue.

Jusqu'où ira cette offensive, pour imposer quelle " solution " ? Sharon ne le sait peut-être pas lui-même, soucieux seulement d'aller jusqu'au bout de la logique de force choisie depuis des lustres par les dirigeants d'Israël à l'égard des Palestiniens et des peuples voisins et qui tient en quelques mots : s'installer, occuper, coloniser, humilier et si possible chasser cette population qui a le seul tort de vivre là.

Ce faisant l'incontrôlable Sharon allume peut-être la mèche d'une situation encore plus incontrôlable. Les manifestations qui se déroulent maintenant du Maroc à l'Egypte témoignent de l'émotion qui traverse une grande partie du monde arabe face à l'attitude d'Israël et des Etats-Unis. La plupart des régimes arabes, liés aux Etats-Unis, se sont jusqu'à présent contentés de condamnations de principe de l'attitude de Sharon et de déclarations platoniques de solidarité avec les Palestiniens. Mais leur situation pourrait devenir de plus en plus difficile face à leur opinion publique, ouvrant peut- être des perspectives aux opposants, islamistes notamment.

DU PIÈGE À L'EMBRASEMENT GÉNÉRAL ?

Alors la guerre de Sharon peut entraîner des bouleversements politiques dans les pays arabes, mais aussi en Israël même. Pour mener l'escalade guerrière, il lui faudra d'abord faire accepter à la population israélienne la perspective d'une guerre longue, celle des sacrifices et du sang. Il lui faudra faire taire les critiques, museler les oppositions. Sharon n'en a peut-être pas les moyens politiques, mais il peut chercher à les trouver dans une radicalisation du régime et en favorisant l'extrême droite ultra-nationaliste. Cette radicalisation peut entraîner, en retour, la radicalisation des régimes voisins.

C'est donc peut-être l'engrenage d'une conflagration générale qui se met en place au Proche et au Moyen-Orient. Mais même sans en arriver là, c'est de toute façon une sale guerre, une guerre sans pitié mais aussi une guerre sans issue. Le peuple palestinien continuera de la payer, de la payer durement, mais il le fait depuis tant d'années qu'aujourd'hui bien des Palestiniens pensent sans doute n'avoir plus rien à perdre. Il n'en est pas de même des Israéliens qui ont pu longtemps croire vivre dans un havre de bien-être au milieu du Proche-Orient déchiré. Avec Sharon et la politique de larmes et de sang dans laquelle il engage Israël, cette illusion ne sera plus possible longtemps.

La politique sioniste, la politique menée par les dirigeants d'Israël depuis des années, a mené toute sa population, tous les Juifs qui croyaient trouver là un havre de paix, dans un piège sanglant où elle pourrait aujourd'hui entraîner toute la région.

Sortir de ce piège, cela signifierait chercher, enfin, à établir les bases d'une coexistence fraternelle entre les peuples israélien, palestinien et arabes en général. Cela ne sera possible que contre les régimes en place, des régimes de guerre et d'agression, à commencer d'abord et avant tout par celui de Sharon.

Arrêter la spirale sanglante est peut-être encore possible ; cela ne dépendra pas seulement de la mobilisation de la population palestinienne, qui de toute façon a le dos au mur, mais cela peut dépendre aussi de celle de la population israélienne contre la politique de Sharon. Pour elle aussi, même s'il est tard, c'est de toute façon la seule voie.

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