Grande-Bretagne : Le système de Santé en péril12/04/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/04/une1759.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne : Le système de Santé en péril

Le 1er avril, la dernière phase de la " révolution " que le premier ministre travailliste Tony Blair avait promise pour le système de Santé britannique est entrée en application. Selon Blair, cette " révolution " mettra fin à la dégradation du système de Santé. Mais dans les faits, cette " révolution " ne fait qu'ouvrir la porte à une industrie privée de la Santé vivant en parasite de la Santé publique pour le seul bénéfice des malades qui en ont les moyens. Ainsi Blair aura-t-il atteint le même " résultat " que les Conservateurs dans les chemins de fer, en introduisant le capital privé dans un service public pour ensuite payer ses bénéfices avec l'argent des contribuables.

LE RATIONNEMENT DE LA SANTÉ

Il faut rappeler que le système de Santé britannique date de 1948. A l'époque trois ensembles distincts furent créés. Les divers établissements hospitaliers, privés ou publics, furent regroupés au sein d'une unique administration d'Etat, le NHS. La prévention (hygiène du travail, publique et scolaire) fut placée sous contrôle municipal. Et la médecine générale devint le monopole de médecins libéraux.

Face à la levée de boucliers des médecins à l'idée de devenir de simples fonctionnaires, les Travaillistes cédèrent et en firent des sous-traitants du NHS, payés au nombre de patients. On les poussa ainsi à multiplier les patients au détriment des visites et des soins. En même temps on en fit les " portiers " du NHS puisqu'il devint impossible aux patients d'avoir accès aux soins spécialisés des hôpitaux sans passer par leur généraliste.

En contrepartie les patients purent aller chez le médecin gratuitement (mais sans avoir le choix du médecin). En revanche, à l'exception des enfants, des femmes enceintes et des plus pauvres, tous durent très vite payer un montant forfaitaire pour chaque médicament - montant d'abord symbolique, puis de plus en plus important, pour atteindre l'équivalent de 13 euros (87 F) aujourd'hui.

Sans doute la population laborieuse bénéficia-t-elle du nouveau système, même si celui-ci faisait une certaine place en son sein à un secteur privé qui, surtout dans les hôpitaux, permit aux classes aisées de bénéficier des investissements publics sans avoir à subir l'inconvénient des listes d'attente.

Néanmoins tout cet édifice centralisé fut avant tout conçu pour coûter le moins cher possible à l'Etat, en imposant un rationnement des soins à la majorité de la population et en minimisant les investissements. Il est significatif à cet égard que, lorsqu'en juillet 1988 fut célébré le 40ème anniversaire de la création du NHS au Park Hospital de Trafford, où avait eu lieu la cérémonie d'inauguration du NHS en 1948, une loterie destinée à empêcher la fermeture de cet hôpital venait juste d'être lancée auprès du public !

"MARCHÉ DE LA SANTÉ" ET PRIVATISATION LARVÉE

C'est sous le gouvernement conservateur de John Major, en avril 1991, que fut faite la première brêche à cette centralisation étatique. Le NHS fut subdivisé en 57 groupements ayant chacun un budget et le droit de le gérer à sa convenance tandis que 1 700 généralistes obtenaient les mêmes droits. Le but était de créer un " marché " de la Santé, dans lequel les généralistes achèteraient sur leur budget des soins aux régions hospitalières présentant le meilleur rapport qualité-prix, tandis que celles-ci choisiraient elles-mêmes les soins qu'elles fourniraient de façon à optimiser leur revenu. A la clé, il y avait des primes et des amendes à titre d' "incitation ".

A l'époque Blair lui-même dirigea l'offensive des bancs de l'opposition contre ce " marché de la Santé ", en promettant qu'une fois au pouvoir l'une de ses premières mesures serait de l'abolir. Mais il n'en fut rien. Une fois arrivé au pouvoir, Blair changea le vocabulaire officiel. Le " marché de la Santé " devint un " partenariat entre les acteurs de la Santé " et au lieu de parler des " contrats " qui les liaient, on parla d'" accords ".

Mais le contenu resta le même, tout comme le manque de fonds pour les hôpitaux. Quant aux listes d'attente pour les opérations, qui avaient atteint des proportions aberrantes sous John Major, elles n'ont raccourci que sur le papier. Car désormais, on fait la distinction entre les listes d'attente pour voir un spécialiste et celles pour subir une opération. Et s'il faut maintenant compter neuf mois pour une ablation du rein, contre un an auparavant, en revanche, avant ça, il faut rajouter six mois de plus pour voir un urologue !

Les mesures entrées en application ce 1er avril viennent parachever le " marché de la Santé ". D'un côté, les groupements hospitaliers pourront choisir de payer des firmes privées de " management " pour les administrer, voire y être contraintes si leurs performances financières ne satisfont pas le ministère. Ils pourront conclure des contrats avec le privé pour la fourniture de soins. Ainsi les rares scanners des hôpitaux publics serviront-ils au privé (parce que cela rapporte) tandis que les malades du public pourront être envoyés au prix fort dans des cliniques privées (qui ont un excès de lits depuis des années), grâce à des dotations spéciales prévues par Blair à cet effet, permettant ainsi aux fonds publics de subventionner les profits du privé.

Par ailleurs, les généralistes et professions paramédicales sont invités à former des groupements médicaux locaux bénéficiant des mêmes réglementations que les groupements hospitaliers, mais de droit privé, et pouvant donc choisir de s'allier avec un groupe financier pour former une société par action. Ce qui n'empêchera pas ces groupements médicaux de continuer à recevoir un budget de l'Etat, qui lui assurera ses profits.

Et déjà des rapports en sont à étudier le fonctionnement d'une " bourse " électronique des services médicaux, qui permettrait de vendre 200 opérations de la hanche ou d'acheter 1500 analyses d'urine, avec des prix qui varient à la minute, comme pour les actions.

Cela fait longtemps que le capital a prouvé qu'il ne connaissait pas de borne en matière de parasitisme. Mais on a vu dans les chemins de fer britanniques à quelle catastrophe l'introduction dans un service public de cette combinaison de parasitisme et de chaos due à la compétition peut conduire. Or dans le cas du NHS, c'est de la santé de toute la population laborieuse qu'il s'agit.

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