Une démocratie étroitement surveillée05/04/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/04/une1758.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Une démocratie étroitement surveillée

Le feuilleton de la collecte des parrainages nécessaires pour accéder à la candidature à la présidence de la République a relancé le débat sur le caractère plus ou moins démocratique des institutions.

L'exigence de ces parrainages, nous a-t-on expliqué, constitue un filtre nécessaire afin d' éviter que certains petits malins mettent à profit l'opportunité médiatique qu'offre l'élection présidentielle. Peut-être, encore que lorsque le nombre de parrainages était limité à cent, jusqu'en 1974, il n'y avait pas plus de candidatures fantaisistes que par la suite. Et la règle qui impose que seul les deux candidats qui seront en tête au premier tour pourront postuler au second constitue un filtre bien plus antidémocratique. Car du coup, comme à chaque fois, le futur président de la République accédera à l'Elysée au lendemain du 5 mai prochain, en ne représentant guère plus que le quart, voire le cinquième des électeurs, autour des 20 à 25 % qui auront voté pour lui au premier tour, si l'on se base sur les sondages actuels. Et encore, sont exclus de ce calcul les abstentionnistes et surtout ceux qui sont écartés du droit de vote, en particulier les travailleurs immigrés.

Mais cette élection n'est pas la pire en ce qui concerne l'accès des candidats aux médias, même s'il règne en ce domaine une disparité importante entre ces candidats. Ce n'est pas non plus celle qui coûte le plus cher, puisqu'une bonne partie des frais de campagne sont pris en charge par l'Etat et pour chaque candidat.

Rien à voir, de ce point de vue, avec d'autres élections.

Les élections législatives, par exemple, vont se dérouler quelques semaines après l'élection présidentielle, en juin prochain. Les députés sont élus selon la règle du scrutin uninominal à deux tours. Ce qui signifie qu'un seul député sera élu dans chaque circonscription, soit au premier tour s'il obtient la majorité absolue des votants, soit au second, où il suffit de la majorité relative. S'ajoutent à cela d'autres conditions, seuils pour être présents au second tour, seuils pour pouvoir accéder au remboursement des frais de campagne, qui aboutissent au fait que des millions d'électeurs ne peuvent avoir aucun représentant au Parlement. Il peut ainsi arriver parfois que la majorité des députés soient élus par une minorité d'électeurs, au plan national.

Cela n'a donc rien à voir avec un mode de représentation qui permette à l'ensemble de la population d'être au moins représenté en fonction des différents courants d'opinion qui la composent, ce que permettrait un mode de scrutin fondé sur la représentation proportionnelle à l'échelle nationale. Ajoutons à cela le fait que le pouvoir des députés élus reste limité face au pouvoir du gouvernement et l'on constate que cette démocratie-là n'est en fait guère démocratique.

Mais si les députés ont bien peu de pouvoir et de légitimité, leurs électeurs, eux, en ont encore moins sur ceux qu'ils élisent. Une fois leur représentant élu - représentant, façon de parler, puisque la majorité des électeurs n'a pas voté pour celui qui est élu dans leur circonscription - ils n'ont aucun moyen de contrôle sur lui, encore moins la possibilité de le révoquer, s'il trahit ses engagements, ce qui est la règle. Alors quand ces députés, ces élus, se déclarent les représentants du peuple et qu'ils prétendent que les élections leur confèrent une légitimité, c'est un abus de langage, pour ne pas dire une imposture. Et il ne s'agit que de l'aspect formel des règles de représentation dont les " démocrates professionnels " , juristes, politiciens, journalistes, se gargarisent. Mais, derrière la forme, se cache une réalité, le fait que ceux qui pèsent sur les décisions du pouvoir, grands patrons, industriels et financiers, ne sont, eux, pas élus au suffrage universel, et encore moins contrôlables.

Le minimum pour que les droits démocratiques ne restent pas complètement des mots, ce serait qu'existent des élections au scrutin proportionnel. Et surtout que les élus soient responsables à tout moment devant leurs électeurs, ce qui implique qu'ils soient révocables. Mais quand on ose évoquer cette idée, cela fait hurler les défenseurs du système. Pensez donc, le peuple aurait le moyen de surveiller ces élus, ce serait une véritable dictature. Leur démocratie, tout comme la liberté que l'on évoque au fronton des monuments reste singulièrement surveillée.

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