La guerre totale de Sharon mène dans l'impasse les deux peuples05/04/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/04/une1758.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

La guerre totale de Sharon mène dans l'impasse les deux peuples

Expulser Arafat des Territoires palestiniens : c'est ce qu'a proposé le Premier ministre israélien Sharon le 2 avril, alors que depuis plusieurs jours son armée avait pris le contrôle des abords immédiats du bureau du dirigeant palestinien, à Ramallah. En même temps, des colonnes de l'armée israélienne prenaient le contrôle, après Ramallah, des principales villes de Cisjordanie qui étaient passées sous contrôle de l'Autorité palestinienne, les dirigeants israéliens annonçant que cette occupation militaire pourrait durer plusieurs semaines.

Le gouvernement de Sharon a choisi la guerre totale contre le peuple palestinien, et la destruction systématique de ce qui faisait l'Autorité palestinienne, telle qu'elle était prévue par les Accords d'Oslo. Après avoir détruit ses bâtiments officiels, occupé et détruit sa radio, bombardé les bâtiments de ses services de police, coupé l'eau et l'électricité à son leader, il ne lui resterait plus en effet qu'à expulser celui-ci, si du moins Arafat était prêt à accepter " l'aller simple " que lui propose Sharon.

Oui, les dirigeants israéliens ont choisi consciemment la guerre, même s'ils continuent à prétendre que c'est Arafat qui les y aurait contraints en ne luttant pas sérieusement contre le terrorisme, alors qu'ils lui ont retiré systématiquement tout moyen d'agir. Les justifications de Sharon ne sont là que pour servir à une partie de l'opinion israélienne, aux journalistes occidentaux toujours soucieux de distribuer également les torts entre Israéliens et Palestiniens, ou aux dirigeants américains comme Bush qui déclarent " comprendre Sharon " quand il dit lutter " contre le terrorisme " . Et l'on croit rêver quand on entend ces mêmes dirigeants déclarer avec satisfaction avoir reçu l'assurance de Sharon qu'il ne serait pas attenté à la vie d'Arafat, au moment même où l'armée tire à la mitrailleuse lourde aux abords de son bureau...

En fait, comme l'observait une partie de la presse, les autorités israéliennes sont loin d'avoir eu la même attitude vis-à-vis de l'organisation islamiste Hamas, l'organisation qui revendique pourtant la plupart des attentats-suicides commis en Israël. C'est évidemment un choix politique : détruire l'autorité d'Arafat, quitte à favoriser les organisations islamistes et quitte à le payer d'une recrudescence des attentats-suicides qui font des dizaines de morts parmi la population israélienne ; c'est aussi une façon de justifier la politique de Sharon lui-même qui consiste à employer la force pure, le rouleau compresseur de l'armée, pour tenter de briser les Palestiniens en disant, comme le font tant de groupes d'extrême droite israéliens : " Vous voyez bien qu'avec les Arabes on ne peut employer que la force " ...

En fait, il y a maintenant 35 ans qu'Israël occupe la Cisjordanie et Gaza et il n'est pas question pour Sharon d'admettre de devoir partir. Suivant une politique classique des dirigeants sionistes, des " faits accomplis " ont été créés par l'implantation de colonies juives dans les Territoires, et il s'agit de les maintenir même si elles sont entourées de l'hostilité des Palestiniens chassés de leurs terres, parqués dans des camps de réfugiés, refoulés sur un territoire en " peau de léopard " sillonné par les routes stratégiques réservées aux colons et à l'armée israélienne. Sharon espère seulement qu'à la longue les Palestiniens se résigneront, que beaucoup ne supportant plus la situation prendront le chemin de l'exil et que les autres finiront par accepter l'occupation, avec tout au plus un semblant de pouvoir autonome sous surveillance étroite de l'armée israélienne : un nouvel apartheid au Proche-Orient, tel est le projet de Sharon, même si ce projet ne dit pas son nom, aidé par l'attitude des dirigeants occidentaux, américains en particulier, qui détournent le regard en faisant semblant de ne pas le voir.

Pourtant, même avec toute la puissance militaire de l'armée israélienne, même avec l'assurance du soutien américain, Sharon ne vaincra pas plus le peuple palestinien que l'armée française n'a pu vaincre le peuple algérien ni qu'aucune armée engagée dans ce type de sale guerre coloniale. Sa politique mène à l'impasse, et pas seulement malheureusement Sharon lui-même, mais avec lui le peuple israélien.

Car au bout de cette politique, il n'y a évidemment pas plus de sécurité pour le peuple israélien lui-même : il y a le bouclage militaire des Territoires, la mobilisation des réservistes israéliens pour un temps indéterminé, d'énormes dépenses pour la guerre, l'engluement de l'armée dans des tâches de police censées " extirper le terrorisme " et qui ne feront que multiplier les vocations de jeunes Palestiniens à se faire sauter avec une bombe en tuant le plus d'Israéliens possible.

L'intérêt de la population israélienne ne se confond pas avec celui de Sharon, ni d'ailleurs avec celui des dirigeants travaillistes qui, en toute lâcheté, s'alignent sur celui-ci. La majorité de la population d'Israël souhaite sans doute continuer à vivre dans la région sans être pour autant les oppresseurs d'un autre peuple, dans une véritable coexistence avec les Palestiniens et avec les Arabes en général. Pour elle il n'y a pas d'autre choix. La politique de Sharon - comme d'ailleurs celle des attentats aveugles du côté palestinien - est criminelle car elle crée un fossé de haine qui ne peut qu'éloigner cette perspective. Mais tôt ou tard il faudra bien en arriver là.

Rompre avec cette politique de guerre, cela peut dépendre d'une partie de la population israélienne, comme ces réservistes de l'armée qui refusent, de plus en plus nombreux, de servir dans les Territoires. Il faut souhaiter, et c'est le seul espoir dans la situation actuelle, que de plus en plus d'Israéliens refusent de s'engager dans l'impasse où les mène Sharon.

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