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- Lutte ouvrière n°1756
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Italie : Les patrons voudraient toute liberté pour licencier !
" Non à l'abrogation de l'article 18 du Statut des travailleurs ". C'est pour cet objectif que samedi 23 mars, à l'appel de la CGIL - la CGT italienne - des centaines de milliers de travailleurs, venus de toute l'Italie en trains ou en cars spéciaux, devaient converger sur Rome pour y manifester.
Si cet " article 18 " suscite une telle mobilisation, c'est qu'il s'agit de celui qui protège les travailleurs contre les licenciements. Le Statut des travailleurs - un statut adopté en 1970, dans la foulée des luttes ouvrières de 1968-1969 - impose en effet, dans les entreprises de plus de 15 salariés, l'obligation pour les patrons de réintégrer les travailleurs qu'ils auraient licenciés de façon abusive. Et de fait, cet article limite fortement les possibilités pour les patrons italiens de licencier. D'où la campagne menée depuis des années par le patronat contre cet article, contre les " rigidités " de la loi qui selon lui, en empêchant d'instaurer la " flexibilité " du marché du travail nécessaire, l'empêcherait aussi d'embaucher ! On connaît la chanson : les patrons italiens, à l'égal des patrons français, réclament de pouvoir licencier à leur guise en disant que comme cela... ils auront moins d'hésitation à embaucher.
L'interdiction de licencier contournée
Les tentatives n'ont pas manqué ces dernières années pour mettre fin à cette interdiction de licencier inscrite dans la loi. Deux référendums ont eu lieu sur cette question, mais ils ont chaque fois échoué faute d'avoir atteint le quorum de 50 % de participation des électeurs, sans lequel ils ne peuvent être valables. Les gouvernements de gauche qui ont précédé le gouvernement Berlusconi, aussi pro-patronaux qu'ils aient été, ont hésité à s'attaquer de front à l'article 18, préférant fournir aux patrons les moyens de le contourner.
Ainsi les plans de licenciements dans les grandes entreprises ont eu lieu par le biais de la " cassa integrazione " - une caisse de chômage partiel financée en grande partie par l'Etat. Les travailleurs n'étaient pas licenciés, ils faisaient toujours partie théoriquement du personnel de l'entreprise, mais ils étaient mis au chômage partiel total (" zéro heure ") en touchant environ les trois quarts de leur salaire, et fortement incités par des plans de " mobilité " à se reconvertir dans d'autres secteurs : beaucoup d'anciens ouvriers se sont ainsi retrouvés dans les Postes, les chemins de fer ou le personnel communal.
Et puis, notamment ces dix dernières années, on a vu se multiplier les formes de travail précaire : les contrats de travail à temps déterminé, ou bien les travailleurs en " contrats de formation ". Le travail intérimaire a été introduit par le gouvernement dit de gauche de Romano Prodi, aujourd'hui président de la Commission européenne. On trouve aussi dans les entreprises des travailleurs en " coopératives " ou même déclarés comme des travailleurs indépendants, sans oublier tout simplement dans de nombreuses régions, et en particulier au Sud, tous les travailleurs au noir ne disposant ni d'un contrat de travail ni de la moindre protection. Avec l'approbation des gouvernements, et des syndicats, les patrons ont pu aussi multiplier les dérogations aux conventions collectives et instaurer dans les faits la " flexibilité " à laquelle ils tiennent tant. Le dirigeant des DS (Democratici di Sinistra - Démocrates de gauche), Massimo D'Alema - l'ex-Parti Communiste Italien, alors au gouvernement - a pu ainsi proclamer triomphalement devant des patrons que l'époque du poste de travail fixe, que l'on gardait des années, était désormais dépassée.
Mais, bien que contourné de bien des façons, l'article 18 demeure. Il continue de protéger au moins les travailleurs embauchés à une époque où, par exemple, le travail intérimaire n'existait pas encore ; des travailleurs qui sont aussi souvent ceux qui ont une expérience des luttes ouvrières et parmi lesquels on trouve aussi beaucoup de militants syndicaux et politiques.
Le patronat proclame donc qu'il faut en finir avec cet article 18 et avec d'autres points du Statut des travailleurs qu'il trouve décidément " obsolètes " ! Et cette abrogation figure au programme du gouvernement Berlusconi, dont la coalition a remporté les élections de mai 2001, avec un certain nombre d'autres projets tout aussi antiouvriers. Mais on s'aperçoit aussi que la CGIL, le plus grand syndicat italien, lié dans sa majorité aux DS - l'ex-Parti Communiste - est moins complaisant avec Berlusconi que lorsque les DS siégeaient au gouvernement.
La CGIL retrouve un ton combatif
Après des années de platitude et de concertation avec les gouvernements, le dirigeant de la CGIL, Cofferati, a retrouvé un langage un peu combatif. Le gouvernement Berlusconi, tout en proclamant qu'il ne cédera pas devant " la rue ", craint visiblement l'extension des manifestations contre l'abrogation de l'article 18. Il a tenté de se servir des deux autres syndicats, l'UIL et la CISL - syndicats comparables à FO et à la CFDT en France - qui se montraient beaucoup plus favorables à une suppression négociée de l'article 18. Mais Cofferati a déclaré le mois dernier, devant le congrès de la CGIL, qu'il irait jusqu'à la grève générale pour défendre l'article 18 et que, si l'UIL et la CISL ne voulaient pas la faire, eh bien la CGIL la ferait sans eux. Ainsi a été fixée la date de la manifestation nationale du 23 mars, appelée par la seule CGIL, qui doit précéder une journée de grève générale le 3 avril. Et aux dernières nouvelles, les dirigeants de l'UIL et de la CISL, après avoir déclaré que la grève appelée par Cofferati serait " une grève politique " inopportune, envisageraient de s'y joindre, sans doute de peur de se déconsidérer complètement.
Bien sûr, les dirigeants de la CGIL eux-mêmes ne manquent pas d'arrière-pensées dans cette affaire. Les années de concessions faites au patronat n'ont pas été sans conséquences, entraînant la fuite des militants et finalement l'affaiblissement de la CGIL elle-même, au point que bien des patrons estiment qu'il n'est même plus nécessaire de se plier au rite de la concertation avec la CGIL pour faire passer leurs mauvais coups. Celle-ci a donc besoin de montrer qu'elle compte encore, et pour cela elle doit faire montre d'un semblant de combativité, remobiliser ses militants, faire la démonstration de son influence. L'occasion est bonne, au moment où c'est Berlusconi qui est au gouvernement et non plus les DS, le parti auquel la CGIL est majoritairement liée.
Les travailleurs peuvent se faire craindre des patrons et de Berlusconi
Bien sûr, quelles que soient les raisons de la CGIL, il faut souhaiter que la manifestation du 23 mars soit un succès, de même que la grève générale qui devrait suivre. Mais il faut souhaiter surtout que ce ne soit qu'un début, le début d'une reprise de confiance de la classe ouvrière italienne dans ses propres forces, le point de départ d'une contre-offensive.
Il faut faire reculer Berlusconi, bien sûr, dans l'affaire de l'article 18. Mais il faut aussi faire reculer le patronat sur bien d'autres choses, remettre en question l'aggravation des conditions de travail et de salaire, la précarité, la flexibilité qu'il a réussi à faire passer dans les faits toutes ces dernières années, imposer la fin de la précarité pour toute cette fraction de la classe ouvrière, intérimaires, CDD ou autres, qui ne sont déjà plus concernés par l'article 18. Et il faut que la classe ouvrière montre suffisamment sa force pour se faire craindre du patronat, de Berlusconi, mais aussi de tout gouvernement qui viendrait à le remplacer. On a vu un certain nombre de fois en Italie un gouvernement de gauche faire passer les mesures antiouvrières que le gouvernement de droite ou du centre précédent n'avait pas réussi à imposer.
Ne pas renouveler cette expérience, cela peut dépendre de la mobilisation ouvrière qui se développera, et de la confiance que la classe ouvrière italienne saura retrouver en elle-même.