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Leur société
Troupes ex-coloniales : Des anciens combattants moins égaux que d'autres
Dans un arrêt, le Conseil d'Etat a imposé la revalorisation de la pension militaire d'un ancien combattant sénégalais, engagé dans l'armée française de 1937 à 1959. Il sanctionne ainsi l'attitude discriminatoire des gouvernements successifs qui refusaient de revenir sur la loi dite de " cristallisation ". Depuis 1959, cette loi bloque l'évolution du montant des pensions et retraites des anciens combattants originaires des colonies à partir du moment où ces dernières devinrent indépendantes. Aujourd'hui, près de 85 000 anciens combattants africains, maghrébins et asiatiques, encore vivants, pourraient prétendre à cette revalorisation.
De Gaulle avait fait adopter cette loi inique en 1959, à un moment où la France, qui avait dû faire face à la révolte des peuples colonisés du Vietnam et du Maghreb s'engageait dans une politique de décolonisation en Afrique noire. Retraites et pensions des anciens combattants issus des anciennes colonies furent ainsi " cristallisées ", c'est-à-dire " gelées ", transformées en indemnités non indexables sur le coût de la vie, non réversibles aux veuves en cas de décès. Aujourd'hui un ancien combattant, s'il est français, invalide à 100 %, touche 686 euros (4 500 F) de pension mensuelle, mais seulement 228 (1 500 F) s'il est sénégalais, 103 (680 F), s'il est camerounais et, 76 (500 F) s'il est tunisien ou marocain. De même un militaire reçoit 426 euros (2 800 F) de retraite en France, 102 (673 F) en Guinée, 85 (559 F) au Mali, 61 (400 F) en Tunisie ou au Maroc, et la somme dérisoire de 15,70 euros (103 F) au Cambodge.
Après avoir recruté de force des centaines de milliers d'hommes originaires d'Afrique, du Maghreb et d'Asie, la bourgeoisie s'en est servie comme chair à canon sur les champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale, et les a même utilisés parfois comme force de répression dans d'autres colonies.
L'arrêt du Conseil d'Etat constitue une condamnation de la discrimination qui a visé les anciens combattants coloniaux. Mais il ne s'agit que d'une décision sur le papier. Encore faudrait-il que l'Etat paye son dû.
Car ce n'est pas la première fois que le gouvernement français est condamné pour attitude discriminatoire. En avril 1989, le comité des droits de l'homme de l'ONU, saisi par 743 Sénégalais, avait conclu que la loi de cristallisation était contraire au principe d'égalité. Une recommandation sur laquelle s'était assise le gouvernement français.
Aujourd'hui, il essaye de contourner l'arrêté, pour ne pas payer une dette estimée à 1,83 milliard d'euros (1,52 milliard d'euros d'arriérés pour apurer le passé et entre 300 et 460 millions d'euros par an d'alignement des pensions d'invalidité et retraites). Avec cynisme, il étudie toutes les possibilités pour se dérober, expliquant que " cela équivaudrait à multiplier par cinq ou six le niveau des pensions existant ", invoquant le fait qu'il y aurait " une perturbation de l'économie locale en créant de subites fortunes pour quelques centaines de personnes " ; et d'ajouter qu'il " n'est pas imaginable de les payer au taux français ", que ce serait " un séisme africain de plus " !
Il était pourtant " imaginable " pour ces bonnes âmes de les utiliser comme soldats quand l'Etat avait besoin d'eux. Et personne n'a alors parlé du " séisme africain " que constituait le fait d'arracher ces hommes à leur village.