Nigéria - L'explosion d'un arsenal - Pouvoir " civil " ou pas, l'armée continue à tuer01/02/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/02/une-1749.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Nigéria - L'explosion d'un arsenal - Pouvoir " civil " ou pas, l'armée continue à tuer

Dans la nuit du 27 janvier, une explosion dans un arsenal militaire, en plein centre de Lagos, s'est transformée en un déluge d'obus, de roquettes et de projectiles en tous genres sur ce port nigérian de plus de dix millions d'habitants. Le quartier entourant l'arsenal a pris feu, laissant des milliers de sans-abri. Officiellement, plus de six cents cadavres auraient été retrouvés.

La plupart des victimes auraient trouvé la mort en cherchant refuge de l'autre côté des canaux qui traversent cette partie de la ville. Certaines auraient été victimes du mouvement de panique. Mais beaucoup seraient mortes prises au piège des boues chargées de déchets industriels (et souvent toxiques) qui remplissent ces canaux.

Car les autorités n'ont jamais jugé bon de faire construire des ponts pour traverser ces canaux et encore moins de les faire draguer. Pas plus qu'elles ne s'en sont prises aux pollueurs, pour la plupart des patrons liés aux grandes compagnies pétrolières occidentales, qui transforment Lagos et bien d'autres régions du pays en égouts industriels. Les dirigeants nigérians se sont toujours montrés bien plus préoccupés de toucher leur commission sur le pillage des richesses naturelles du pays par les BP et autres Elf que de la santé ou du bien-être de la population.

C'est d'ailleurs pour la même raison qu'entre le pillage occidental et les rapines de la bourgeoisie nigériane, la population pauvre n'a jamais vu la couleur du pactole pétrolier du pays, sinon sous la forme des boues nauséabondes, et aujourd'hui meurtrières, des canaux de Lagos.

Mais surtout ce que rappelle la catastrophe du 27 janvier, c'est le rôle de l'armée dans la société nigériane. Le fait que le commandant de la garnison de Lagos ait cru devoir apparaître à la télévision nationale dans les heures qui ont suivi les premières explosions, non pas pour expliquer leur cause ou annoncer des mesures d'urgence, mais pour assurer la population qu'il ne s'agissait pas d'un coup d'Etat, est en soi tout un symbole.

Sur 41 ans d'existence indépendante, l'ancienne colonie britannique qu'est le Nigeria a en effet connu 29 années de dictature, six coups d'Etat militaires et l'une des guerres civiles les plus meurtrières qu'ait connues l'Afrique, la guerre du Biafra. Sans doute le pays est-il aujourd'hui administré par un pouvoir " civil " dont la légitimité " démocratique " a été dûment estampillée par les puissances occidentales. Il n'empêche que son président, à qui l'armée a remis le pouvoir en 1999, est un militaire défroqué, l'ex-général Olusegun Obasanjo, qui fut dictateur militaire du pays de 1976 à 1979. Et cela aussi constitue tout un programme.

Autant dire que, si l'armée n'apparaît plus aussi ouvertement sur le devant de la scène, elle n'en est jamais très loin. D'ailleurs la caserne d'Ikeja, où s'est produite l'explosion du 27 janvier, est là pour le montrer. Car, bien plus qu'une caserne au coeur de la plus grande concentration urbaine du pays, il s'agit d'une véritable ville dans la ville, avec ses propres infrastructures collectives, allant des logements familiaux et des écoles et lycées jusqu'aux magasins et installations de loisirs. Etre militaire au Nigeria, ou tout au moins à Lagos, est un véritable privilège, et pas seulement pour les gradés qui bénéficient en plus des à-côtés que procure la corruption. Tout est fait pour éviter le moindre contact entre les soldats du rang et la population pauvre de la ville sur laquelle ils auront un jour à tirer pour défendre les intérêts communs des castes privilégiées et des grands trusts occidentaux.

Pour cette fois, paradoxalement, la caserne d'Ikeja a peut-être protégé la population, grâce à sa surface énorme, en empêchant l'incendie de se propager bien plus loin dans les quartiers de taudis voisins. Mais, au-delà des victimes d'aujourd'hui, la puissance même de l'explosion est un avertissement pour la population pauvre de Lagos. Car c'est à elle surtout que le régime d'Abasanjo, ce grand " démocrate " ami de Paris, Londres et Washington, destinait ces explosifs stockés en plein coeur de la ville.

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