Voir : The navigators de Ken Loach18/01/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/01/une-1747.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Divers

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The Navigators, le dernier film du cinéaste anglais Ken Loach, a pour toile de fond la dernière phase de la privatisation des chemins de fer britanniques, de 1994 à 1996. Il fut conçu pour la télévision britannique après le scandale suscité par le déraillement de Hatfield, en octobre 2000.

Ken Loach explique qu'il a cherché à montrer la trappe fatale dans laquelle la privatisation entraîna simultanément les chemins de fer et les cheminots. Il y parvient très bien, en montrant le sort d'une équipe de maintenance des voies.

Du jour au lendemain, des ouvriers qui travaillaient ensemble depuis des années, et dont les rangs avaient été soudés par un travail collectif dur et dangereux, se trouvent dispersés entre des sous-traitants rivaux qui reprennent les contrats de maintenance avec les ouvriers qui vont avec, comme s'il s'agissait de vulgaires machines.

Il faut aller toujours plus vite et "coûter" toujours moins cher, pour permettre aux sous- traitants rivaux d'obtenir de nouveaux contrats. Finis les accords syndicaux. Les syndicalistes (les "fauteurs de troubles"), doivent être mis au pas. On prive les ouvriers d'heures supplémentaires (leur seule façon de boucler les fins de mois) afin qu'ils se laissent tenter par les quelques dizaines de milliers de francs de la prime de départ "volontaire" et les taux journaliers que promettent les agences d'intérim pour faire le même travail.

Mais très vite les nouveaux intérims doivent se rendre à l'évidence : pour avoir du travail, il faut avoir l'échine très souple et accepter une absence de sécurité impensable auparavant. Tant et si bien qu'un jour vient l'accident fatal, faute de protecteur pour signaler l'arrivée des trains. Et pour les ouvriers présents il n'y a pas d'issue : ils doivent couvrir la responsabilité du sous-traitant qui les emploie au risque, sinon, de perdre leur permis de sécurité, c'est-à-dire le droit de travailler sur les voies.

On ne voit pas dans ce film le rôle qu'ont joué les directions syndicales au cours de cette période, rôle qui s'est traduit par une chute dramatique des effectifs syndicaux. On n'y voit ni leur sabotage des grèves (celle des aiguilleurs en 1994, des personnels embarqués en 1995), ni leurs bassesses pour se faire accepter à n'importe quel prix comme "partenaires" par les compagnies privatisées.

Ken Loach dit avoir fait ce choix pour faire un film "grand public", en mettant surtout l'accent sur les questions de sécurité, qui sont au premier plan de l'actualité depuis plus d'un an. Mais c'est un choix dont on peut penser qu'il est surtout destiné à éviter une critique publique des appareils syndicaux, conformément aux idées politiques de Loach qui, tout en s'affichant aux côtés de l'extrême gauche, reste un fidèle du travaillisme d'hier - c'est-à-dire d'avant Blair.

Néanmoins, dans les limites qu'il se donne, ce film sonne toujours juste. Et sans doute le fait que son scénariste, Rob Dawber, ouvrier de maintenance ferroviaire à Sheffield (décédé depuis d'une maladie professionnelle), ait vécu cette période en tant que militant syndicaliste (et militant trotskyste) y est-il pour quelque chose.

Surtout, au-delà de la privatisation des chemins de fer britanniques, ce film témoigne de l'aggravation de l'exploitation de la classe ouvrière par un patronat de plus en plus avide et sûr de lui. Bien des travailleurs qui ont connu le chômage et la précarisation du travail, en France, n'auront aucun mal à se reconnaître dans les personnages de Ken Loach. La forme et les prétextes de l'aggravation de l'exploitation peuvent être différents, mais pas son contenu.

Car, quoi qu'aient pu prétendre hier les chantres de la défunte "nouvelle économie", c'est cette aggravation de l'exploitation qui alimenta la flambée des cours boursiers et des profits financiers au cours de la dernière décennie. Et aujourd'hui, alors que l'état de crise chronique de l'économie capitaliste réapparaît au grand jour, c'est encore sur une nouvelle aggravation de l'exploitation, en particulier dans les pays industrialisés, que le capital compte pour sauver ses profits.

La grande qualité du film de Loach est de montrer sans fard ni exagération, et même avec un certain humour, cette férocité de l'exploitation capitaliste ainsi que la régression sociale qu'elle implique. Mais il a aussi le mérite de rappeler que si, malgré tout, le monde continue à tourner, c'est parce que la classe ouvrière continue à produire, à remplacer et réparer ce qui s'use, à faire marcher les trains, etc., et que cette classe ouvrière, toute victime de l'exploitation qu'elle soit, reste une force considérable et la seule capable d'en finir une fois pour toutes avec ce système.

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