Pour le Conseil constitutionnel : La liberté d'entreprendre est celle de jeter les salariés à la rue !18/01/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/01/une-1747.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Editorial

Pour le Conseil constitutionnel : La liberté d'entreprendre est celle de jeter les salariés à la rue !

Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il y avait lieu de ranger "la liberté d'entreprendre" parmi les principes affirmés par la Constitution gaulliste de 1958, et qu'il signifie... le droit de licencier.

On pourrait croire que ce droit d'entreprendre est le droit de créer une entreprise, de se mettre à son compte, d'avoir des idées utiles et de les mettre en application... Eh bien non, pour le Conseil constitutionnel, le droit d'entreprendre c'est le contraire d'entreprendre, c'est le droit de fermer une entreprise, le droit de la délocaliser, le droit de licencier les trois-quarts du personnel, selon le bon vouloir de l'employeur, sans qu'il ait à rendre de comptes.

Le Conseil constitutionnel est moins exigeant pour faire respecter depuis vingt ans un autre principe réaffirmé dans la Constitution, rédigée il est vrai dans une période de plein emploi, et déclarant "le droit de chacun d'obtenir un emploi".

Le droit du travail prévoyait jusque-là que le motif économique doit résulter "notamment" de difficultés économiques ou de mutations technologiques.

L'article censuré par le Conseil constitutionnel n'était pourtant pas plus méchant pour le patronat. Il prévoyait que le licenciement économique ne devait intervenir que lorsqu'une réorganisation était "indispensable à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise" ou en subordonnant les licenciements "à des difficultés économiques sérieuses n'ayant pas pu être surmontées par d'autres moyens". Evidemment, cela gênait un peu les licencieurs mais cela ne les empêchait pas de licencier car ils avaient largement la possibilité de prétendre, voire de prouver, que n'importe quelle mesure de licenciement collectif est nécessitée par la sauvegarde de l'activité de l'entreprise ou par des difficultés économiques sérieuses.

Il est trop facile de mettre, sur le papier, une entreprise en difficulté alors qu'il s'agit simplement d'un transfert de fonds, de clientèle, de moyens de production d'une entreprise à une autre.

Le patronat et ses banquiers, ses actionnaires, ont tous les moyens de tourner tout cela. Le baron Seillière s'est retiré d'AOM-Air Liberté mise en difficulté... parce qu'il s'en était retiré.

Mais les grands bourgeois n'aiment pas qu'on mette le nez dans leurs affaires. Ils n'ont pas envie de voir, même par extraordinaire, un juge d'instruction exceptionnel, têtu, non encore viré et non démissionnaire, leur demander des comptes et, de fil en aiguille, menacer de révéler des choses que les conseils d'administration du patronat n'aiment pas voir mettre en lumière.

Le gouvernement avait un peu renforcé la loi qu'il projetait, sous la pression du Parti Communiste, mais si peu ! Et bien entendu, même s'il n'a pas craqué devant la droite et devant le patronat, il restait encore le Conseil constitutionnel comme barrage.

Les députés sont déjà élus au travers du filtre d'une loi électorale qui ne donne qu'une représentation déformée de l'opinion puisqu'elle oblige l'électeur à choisir, en particulier au 2e tour, entre le pire et le moins pire. Mais même quand les députés ainsi élus s'abandonnent à voter un article de loi qui gêne tant soit peu le patronat, on voit surgir de l'ombre un organisme non élu, désigné de façon non contrôlée et qui peut casser sans appel un article qui gêne le patronat.

Au mois d'octobre, une trentaine de patrons de grandes entreprises avaient fait une pétition contre cet article. Il faut croire que cette pétition a eu plus d'effet que le vote des députés.

Ne comptons donc pas trop sur les lois pour nous défendre car le patronat n'entend que la force et non les lois. C'est par la force qu'il serait possible d'obliger le patronat à prouver que les licenciements qu'il envisage ne sont pas simplement destinés à faire encore plus de profits, comme c'était le cas pour les licenciements chez Michelin et Danone, qui n'étaient pas en difficulté.

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