La démission du juge Halphen : Un juge qui met en accusation la justice18/01/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/01/une-1747.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

La démission du juge Halphen : Un juge qui met en accusation la justice

"Quand je suis devenu magistrat, j'avais un idéal de justice. La même justice pour tous. C'est cette idée, pendant longtemps, qui m'a fait aimer mon métier. Plusieurs affaires, dont celle des HLM, m'ont fait toucher du doigt que cette justice n'existe plus. Il faut ouvrir les yeux. Des gens qui détournent des sommes considérables échappent à tout jugement, ou parfois, quand ils sont jugés écopent de peines insignifiantes. Pendant ce temps, le voleur de sac à main du métro, pour lui rien n'a changé, il prend toujours ses six mois fermes. La justice fonctionne à deux vitesses. Un juge seul n'y peut rien. Je n ai plus cet idéal de justice qui m'animait. Et puis j'en ai assez du milieu des magistrats. Petit, mesquin, jaloux. Alors j'arrête."

Le juge Halphen, le même qui avait convoqué Chirac dans l'affaire des marchés truqués des HLM de Paris, a annoncé ainsi sa démission de sa fonction de juge d'instruction en s'expliquant dans une longue interview au quotidien Le Parisien paru le 14 janvier

La mise à mort administrative d'un juge

Le juge Halphen en aura effectivement bavé ces sept dernières années. Les ennuis ont commencé pour lui quand il a mis à jour les pratiques de corruption généralisée ayant cours à la Ville de Paris et dans les Hauts-de-Seine autour de la gestion des HLM. Non seulement les collaborateurs de Chirac ont gardé le silence, mais quand son enquête l'a orienté vers les Hauts-de-Seine, dont le président du Conseil général se trouvait être Pasqua, par ailleurs ministre de l'Intérieur, ce dernier monta une opération pour faire tomber le juge indiscret. Se servant de son poste de ministre, Pasqua fit corrompre le beau-père du juge pour l'atteindre lui. Et si la manoeuvre échoua et provoqua un scandale, Pasqua comme Chirac s'en tirèrent sans dommage.

Quand le juge alla en 1996 perquisitionner chez le nouveau maire de Paris, Tibéri, qui remplaçait Chirac depuis 1995, la police du gouvernement, présidé par ce dernier, refusa d'accomplir sa mission et lui refusa son concours. Chirac et ses compères s'en tirèrent à nouveau sans rien. Au contraire, ce fut le juge qui régulièrement vit toutes ses enquêtes démolies par la haute hiérarchie judiciaire.

Démolies, les poursuites contre Xavière Tibéri qui fut prise la main dans le sac avec un rapport bidon grassement payé 200 000 francs par le président RPR du Conseil général de l'Essonne, homme respectable qui ne put, lui, échapper à la prison à force de magouilles et de détournements. Démolie, toute l'enquête sur les HLM de Paris et des Hauts-de-Seine. Le système de corruption, établi par des témoignages, devait rester impuni, ainsi en a-t-il été décidé, en toute justice, bien sûr. Et le coup de grâce a été le dessaisissement de tous ses dossiers, de ce juge vraiment trop indocile par les hautes instances juridiques, puis la mutation forcée du juge Halphen du tribunal de Créteil au tribunal de Nanterre, où il ne se voyait plus confié pratiquement aucun dossier.

Entre juges et justice, un énorme fossé

Après d'autres "petits juges", le juge Halphen dut constater que le mythe, enseigné au bon peuple et qu'il avait fait sien, selon laquelle la Justice était égale pour tous, n'avait pas grand-chose à voir avec la réalité. Certes, les lois peuvent parfois avoir l'apparence de l'équité, de la juste mesure entre les intérêts qui s'opposent dans cette société, mais dès que l'on gratte un peu ce vernis superficiel, on se rend compte qu'il n'en est rien. Cette société, qui repose à sa base sur le vol de la majorité des producteurs salariés des fruits de leur travail, ne peut, pour protéger les intérêts de la minorité d'exploiteurs qui est à sa tête, qu'édicter des lois injustes pour protéger un système injuste. Et cela même si un peu de civilisation est mis dans les lois des pays riches comme le nôtre, du moins, quand tout va bien.

Aussi les principes, enseignés depuis le plus jeune âge jusqu'à l'école de la magistrature, de "l'égalité devant la loi", reposent sur une profonde hypocrisie. La haute magistrature, comme toute la haute administration, est là pour ramener les francs-tireurs, ceux qui ont cru aux principes d'égalité, à la raison, par tous les moyens. Plus fort que la loi écrite est l'esprit des lois qui doivent protéger le système et ceux qui le servent et le dirigent. d'ailleurs, ces derniers sont justement sélectionnés pour leur compréhension des vraies règles, même quand elles ne sont pas écrites.

Le juge Halphen, sous les coups du système, a dû renoncer. Mais il est en même temps la preuve que malgré tout des hommes et des femmes peuvent s'attacher aux principes de justice et d'égalité et chercher à les appliquer à la lettre même quand tout l'appareil judiciaire fait pression en sens contraire. Comment en effet ne pas être révolté par l'injustice que sécrète, par tous ses pores et à tous les niveaux cette société, et par la façon dont l'appareil judiciaire peut se montrer dur pour les plus pauvres, et combien conciliant pour les plus riches ? Et comment les juges eux-mêmes, ou du moins certains d'entre eux, ne se révolteraient-ils pas eux aussi contre cette hypocrisie ?

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