Justice : Non, ce système n'est pas présumé innocent07/12/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/12/une-1742.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Justice : Non, ce système n'est pas présumé innocent

Sur fond de démagogie sécuritaire, l'affrontement entre la droite et la gauche a connu un nouvel épisode...

Partant du fait qu'un juge des libertés et de la détention, fonction introduite par la loi sur la présomption d'innocence votée en juin 2000, avait décidé de laisser en liberté provisoire un homme fortement soupçonné d'être un trafiquant de drogue et qui en a profité pour prendre la poudre d'escampette, la droite s'en est donnée à coeur joie. S'appuyant sur le fait que c'était le deuxième cas en quelques semaines, après la tragique affaire dans laquelle était impliqué un dangereux truand (dont le cas ne relevait d'ailleurs pas de la loi de présomption d'innocence), Chirac s'est fendu d'un communiqué pour dénoncer "les dysfonctionnements répétés de la justice". Les parlementaires de droite ont donc sauté sur l'occasion.

Rappelons cependant que cette loi dite "de présomption d'innocence", élaborée alors qu'Elisabeth Guigou était ministre de la Justice, recueillait l'assentiment d'un large éventail de parlementaires, y compris d'une grande partie de la droite. Ces derniers l'avaient d'ailleurs votée en commission. Et si finalement, lors de son adoption, ils s'étaient abstenus, c'était parce que, disaient-ils, cette loi ne garantissait pas suffisamment les droits du justiciable. D'ailleurs nombre de personnalités de droite, qui aujourd'hui la condamnent, n'ont pas hésité à invoquer cette présomption d'innocence lorsque eux-mêmes, ou leurs amis, ont eu maille à partir avec la justice. Rappelons aussi que cette loi ne faisait que s'aligner sur ce qui existait déjà dans nombre de pays d'Europe occidentale.

En fait, si cette loi bénéficiait alors d'un aussi large consensus dans les milieux politiques, et dans les milieux d'affaires, c'était en grande partie parce que nombre de politiciens et de PDG se trouvaient et se trouvent encore sous le coup de procédures judiciaires, à commencer par Chirac. Une situation qui n'est pas une exclusivité de droite.

Cette réforme avait immédiatement provoqué la grogne chez les magistrats, les juges, les policiers. Si derrière cette grogne, il y avait des arrière-pensées qui ne relevaient pas toujours d'une volonté d'aboutir à une justice plus juste, elle était cependant fondée sur le fait que cette réforme avait été adoptée, comme souvent, sans que les moyens financiers et humains, qui auraient permis de la mettre en oeuvre, suivent.

Hier donc, la lutte contre une justice pas assez soucieuse des droits des justiciables était de mode. Aujourd'hui, droite et gauche confondues font la surenchère inverse et estiment que cette justice est trop laxiste, qu'il faut en venir, ou plutôt en revenir, à la "tolérance zéro".

Sauf que ce prétendu laxisme n'a jamais été appliqué de la même façon aux petits délinquants, dont certains deviennent grands grâce à leur passage en prison préventive, qu'aux délinquants de haut vol qui ont trafiqué dans la vente d'armes, mais qui ont, eux, des appuis et des relations.

Et ça n'est pas pour rien si on pense, dans la jeunesse des quartiers pauvres et dans les milieux populaires, qu'il y a une justice à deux vitesses, plus dure aux pauvres qu'aux riches. Sur les 53 000 détenus en juin 2000 au moment du vote de la loi sur la présomption d'innocence, 34,8 % étaient en préventive. La proportion a diminué depuis, faiblement, sans qu'il y ait un rapport entre ces chiffres et l'accroissement de l'insécurité, et de l'inquiétude qu'elle engendre dans la population.

Les démagogues de droite et de gauche le savent fort bien. Mais cela ne les empêche pas de se servir de faits divers et de statistiques présentées de façon tendancieuse, pour alimenter une inquiétude réelle, parfois fondée, sans proposer d'autre remède que de voter pour eux. Sans même se soucier du fait qu'en agissant de la sorte ils alimentent le fonds de commerce d'un Le Pen.

Ils n'ignorent pas que la grande délinquance, le grand banditisme ont toujours existé et ne sont pas liés au contexte social et économique. Ils savent tout autant qu'il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit de la petite délinquance, ou tout bonnement de l'incivilité qui grandit, surtout dans les banlieues pauvres.

Il est trop facile de parler de l'abdication des parents, comme le font tous ces élus pères fouettards qui lésinent sur les moyens qui permettraient efficacement de limiter la dégradation de la situation : un travail pour tous, des logements accueillants, les moyens matériels, mais aussi culturels, aux parents qui en sont démunis, comme ceux qui ne parlent pas le français, leur pemettant d'agir auprès de leurs enfants, dès le plus jeune âge, à l'âge où cette intervention est déterminante ; et aussi des écoles qui permettent d'accueillir ces enfants, dans un cadre qui soit lui aussi accueillant, avec des enseignants, du personnel en nombre nécessaire qui puisse contribuer à changer les comportements.

Voilà à quoi devraient oeuvrer tous ces bons apôtres qui font la chasse à l'électeur en faisant semblant de pourchasser l'insécurité. Cette politique coûterait cher ? Sûrement plus que de construire quelques maisons de correction, quelques prisons qui - et les démagogues le savent bien - sont d'une totale inefficacité. Mais sûrement moins que l'argent distribué aux grands patrons et autres actionnaires. Moins aussi que le coût social dû à l'incurie des gouvernements qui se sont succédé et qui n'avaient d'yeux que pour les riches.

C'est un choix de société, incontestablement. Mais leur société, leur jungle pourrait-on dire, n'est pas faite pour les femmes et les hommes qui y vivent, si on excepte une minorité qui en profite.

Partager