Etats-Unis - Alerte médicale à l'"anthrax" : La faillite du système02/11/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/11/une-1737.gif.445x577_q85_box-0%2C11%2C166%2C227_crop_detail.jpg

Dans le monde

Etats-Unis - Alerte médicale à l'"anthrax" : La faillite du système

de santé publique

Les militants trotskystes américains qui publient le bimensuel The Spark (L'Etincelle) revenaient, dans leur numéro du 22 octobre dernier, sur la menace que constitue la maladie du charbon, sous un angle guère envisagé par la grande presse.

"Il n'est pas du tout évident de savoir qui est responsable des courriers à l'anthrax envoyés dans les différents bureaux de l'administration américaine, ainsi que dans plusieurs grands médias. Cela pourrait bien sûr être associé avec les terroristes qui ont mené les attaques du 11 septembre, mais cela pourrait tout aussi bien provenir de terroristes "maison", du genre de Timothy McVeigh (le responsable de l'attentat d'Oklahoma City) ou encore d'individus complètement fous comme "Unibomber" (un terroriste isolé qui adressait des lettres explosives à ses correspondants). Mais cette crise de l'anthrax a clairement indiqué à quel point le système de santé est inadéquat pour protéger la population de la maladie.

Quand les informations sur l'anthrax commençèrent à paraître, beaucoup de gens ont cherché à faire des tests de santé, ou à faire vérifier des paquets dont ils pouvaient craindre qu'ils contenaient des spores d'anthrax. Mais il n'a pas fallu longtemps avant que tout le système de santé, à l'échelle du pays, ne soit complètement submergé. On n'avait pas les moyens de tester la plupart des gens qui en faisaient la demande, et de même il n'était pas possible de vérifier la majorité des objets suspects que les gens adressaient aux laboratoires. Le docteur Norman Crouch, qui dirige le laboratoire du département de la Santé publique dans l'Etat du Minnesota, a dit que son laboratoire avait reçu six cents demandes de tests pour du matériel suspect et "évidemment, nous ne pouvions tous les vérifier". Cet échec aurait pu se transformer en une véritable catastrophe si l'alerte médicale avait été plus étendue.

Les politiciens prétendent que le principal problème c'est que les Etats-Unis ne sont pas prêts à combattre le bio-terrorisme. Mais, en fait, comme les responsables de la santé viennent de le montrer, la capacité à combattre la diffusion de l'anthrax ou tout autre maladie qui pourrait provenir d'une attaque bio-terroriste est identique à la capacité de pouvoir combattre n'importe quelle épidémie qui pourrait surgir de façon naturelle. La première ligne de défense, quand on découvre et qu'on s'attaque à une telle maladie, c'est le système de santé publique. Et le problème est que ce système a été systématiquement démantelé, frappé par les coupes budgétaires et privé de moyens financiers.

Le système de santé publique est devenu extrêmement limité dans ses capacités à effectuer des examens en cas d'épidémie. Les responsables de la santé publique ne disposent pas des ressources nécessaires, c'est-à-dire suffisamment de personnel formé, ainsi que les équipements modernes adéquats, pour pouvoir diagnostiquer rapidement non seulement l'anthrax, mais beaucoup d'autres maladies, comme la variole ou ébola. Quand une épidémie surgit, le système n'a qu'une capacité réduite à la pister avant qu'elle ne se développe largement. Très peu de départements de la santé publique, par exemple, disposent d'ordinateurs modernes pour contrôler le développement de la maladie.

Pire, si quelque épidémie se produisait, la système de santé publique dispose de très peu de moyens pour la traiter. En effet, il reste peu d'hôpitaux publics aux Etats-Unis, non seulement dans les petites villes, mais également dans les plus importantes. Rien que l'année dernière, par exemple, Washington, c'est-à-dire la capitale du pays, a fermé le dernier hôpital public. Et Washington n'est pas la seule ville à avoir procédé de la sorte. D'autres grandes villes, comme Detroit, n'ont plus d'hôpital public depuis des décennies.

Personne d'autre ne peut faire ce qu'un service de santé publique peut faire, c'est-à-dire coordonner à une vaste échelle les différentes mesures à prendre pour affronter la diffusion de la maladie, à une échelle locale, régionale ou nationale. Il est certain que les entreprises, les hôpitaux, les compagnies d'assurances, les entreprises pharmaceutiques du secteur privé ne sont pas organisés pour mener à bien une tâche de ce genre. Après tout, ce qui leur importe est le profit. Elles sont mobilisées pour réduire constamment les "coûts" en réduisant leurs soins à des clients solvables, c'est-à-dire ayant les moyens de payer. Elles n'ont jamais été mises sur pied pour affronter des problèmes d'alerte médicale à une telle échelle.

Tout au contraire, leur politique les a conduites dans la direction opposée. Depuis qu'ils ont constaté que les services d'urgence n'étaient pas profitables, les hôpitaux privés les ont fermés dans tout le pays. Ils ont aussi fermé beaucoup de services de soins intensifs, ce qui signifie que souvent les gens qui quittent le service des urgences se retrouvent abandonnés dans les couloirs des hôpitaux. Et parce que disposer de stocks de médicaments pour les urgences a des effets réducteurs sur leur précieux capital en terme d'inventaire, la plupart des hôpitaux ont adopté le principe du "zéro stock" pour les médicaments vitaux.

Le seul système médical en mesure de lutter en cas d'urgences est le système de santé publique. Mais comme le système de santé privé a toujours perçu la santé publique comme un compétiteur, ils ont toujours fait pression pour qu'il soit démantelé et privé de crédits. Le système de santé américain est, de loin, le système de santé le plus coûteux du monde, avec une moyenne de 3 400 dollars de dépenses de santé par personne. Mais 1 % seulement de ce montant est consacré au système de santé publique, c'est-à-dire à une quelconque forme de protection collective contre une urgence médicale.

"Je pense qu'il est difficile pour moi d'exagérer les déficiences de nos actuelles capacités en matière de santé publique", a déclaré le docteur Donald Henderson, un ancien doyen de l'école de santé publique John-Hopkins et un conseiller de Tommy Thompson, en charge du secrétariat à la Santé publique. L'administration Bush nous dit qu'elle est prête pour l'éventualité de quelque chose comme l'anthrax : c'est un mensonge. Si elle le voulait vraiment, elle mettrait dès maintenant de l'argent dans le système de santé. Tout au contraire, elle se propose de donner encore plus d'argent au complexe médico-industriel du secteur privé, une des plus importantes et des plus profitables industries des Etats-Unis."

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