Lire : Barcelone 1936 Un adolescent au coeur de la révolution espagnole d'Abel Paz28/09/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/09/une-1732.gif.445x577_q85_box-0%2C11%2C166%2C227_crop_detail.jpg

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Lire : Barcelone 1936 Un adolescent au coeur de la révolution espagnole d'Abel Paz

Militant anarchiste espagnol et biographe de Durruti, Abel Paz livre ses souvenirs lorsqu'il avait quinze ans, entre 1936 et 1939, qu'il fréquentait assidûment le milieu des jeunes libertaires de Barcelone et participait à la révolution espagnole. Trop jeune pour partir au front, Paz travailla en usine, participa à la remise en ordre de la bibliothèque d'un séminaire catholique, désormais ouverte à la population, puis à des collectivités paysannes.

La riposte ouvrière au coup d'état

Après le soulèvement des généraux menés par Franco, le 19 juillet 1936, il fut d'abord un témoin de la riposte ouvrière au coup d'Etat de Franco. Une révolution commençait. Des soldats refusaient de tirer sur les travailleurs, retournaient leurs armes contre leurs officiers. Entre les putschistes et les travailleurs, le pouvoir s'était comme évanoui. Dans les quartiers, des comités de défense et des patrouilles ouvrières se mettaient en place.

Paz montre comment les travailleurs de la CNT surent assurer la distribution de l'eau, du gaz et de l'électricité, faire rouler à nouveau les tramways et les chemins de fer, organiser le ravitaillement et sa répartition, remettre en route la production industrielle, former et équiper les colonnes de volontaires qui partaient pour le front, grâce à de multiples initiatives individuelles.

Pour coordonner ces initiatives, les dirigeants anarchistes de la CNT mirent en place un "comité central des milices" en s'adjoignant des représentants des autres organisations, le syndicat socialiste UGT, le PSUC (parti qui regroupait en Catalogne les sociaux-démocrates et les staliniens) ainsi que les politiciens "catalanistes".

Là commença à se nouer l'alliance entre la CNT, les Partis Socialiste et Communiste et les politiciens bourgeois de l'aile républicaine, qui allait causer la perte de la révolution. Non seulement les dirigeants anarchistes ne se démarquèrent pas, en Catalogne comme au niveau central, du gouvernement de Front Populaire dont le rôle allait être de restaurer l'ancien ordre bourgeois. Non seulement ils le cautionnèrent en y acceptant des postes de ministres, mais ils prirent l'initiative d'y associer des représentants patentés de la bourgeoisie, au moment même où il aurait fallu appeler à l'expropriation des capitalistes et des propriétaires fonciers pour garantir le succès des ouvriers, qui remettaient en route des usines, et des paysans sans terre qui s'emparaient des grands domaines pour les cultiver collectivement.

Sous le prétexte de donner la priorité à la victoire contre Franco, le gouvernement de Front Populaire voulait rassurer la bourgeoisie, restaurer son Etat, remettre en place une armée et une police et arrêter les collectivisations des terres. Dans la population ouvrière de Barcelone, l'enthousiasme des premiers jours, confronté aux atermoiements des dirigeants anarchistes devenus ministres, s'émoussa. La répression du mouvement ouvrier révolutionnaire n'allait pas tarder.

Mai 1937, le gouvernement republicain contre la classe ouvrière

Paz raconte comment, le 3 mai 1937, la police du gouvernement catalan, assistée des groupes armés staliniens et des autonomistes catalanistes, décida de reprendre aux travailleurs le central téléphonique de Barcelone qu'ils géraient depuis un an. Barcelone se couvrit alors à nouveau de barricades tandis que les ministres anarchistes appelaient les travailleurs anarchistes au cessez-le-feu. Les quartiers ouvriers de Barcelone connurent les contrôles arrogants de la police. Les staliniens aux ordres du gouvernement du socialiste Negrin se chargèrent du sale boulot du rétablissement de l'ordre bourgeois, pourchassant tous ceux qui refusaient l'enterrement de la révolution sociale.

Le POUM, parti antistalinien composé d'anciens membres du PC espagnol et d'ex-trotskystes, fut interdit et ses dirigeants arrêtés, accusés d'être des agents de Franco. Andrès Nin, son principal dirigeant, qui avait lui aussi assumé un poste de ministre, fut enlevé et assassiné comme le furent tant d'autres militants trotskystes et anarchistes. Paz cite de nombreux cadres anarchistes assassinés par les partisans du Front Populaire.

Les reins de la classe ouvrière ayant été brisés par les dirigeants de son propre camp, Franco pouvait gagner la guerre. En 1939, avec près de 500 000 autres vaincus, Paz se réfugia en France. Là, ils furent internés dans des camps de concentration.

Paz est resté fidèle aux idéaux de sa jeunesse et montre les possibilités de la classe ouvrière lorsqu'elle décide de prendre son sort en main. C'est ce qui fait le principal intérêt de ce livre, dans lequel il donne de nombreux exemples des reniements des dirigeants de la CNT.

Le courant anarchiste constituait la force principale de la classe ouvrière espagnole. Malheureusement, les dirigeants de ce mouvement ne dépassèrent pas les préjugés qui les avaient toujours empêchés de comprendre les conditions concrètes d'une révolution et la nécessité pour les travailleurs de constituer leur parti, un parti politique indépendant des partis bourgeois et capable de prendre la direction de la révolution. Cette incompréhension allait conduire les dirigeants de la CNT à accepter des postes de ministres dans un gouvernement, et à cautionner ainsi auprès de l'opinion ouvrière la restauration de l'ancien ordre bourgeois.

Paz est d'autant moins en situation d'aller au bout de ses critiques et de répondre à la question qu'il ne cesse de se poser dans son livre (pourquoi la révolution espagnole a-t-elle échoué ?), que ses préjugés contre Lénine et Trotsky l'empêchent de comprendre quelle politique il aurait fallu mener - justement celle de Lénine et Trotsky en Octobre 1917 - pour que les prolétaires espagnols puissent discerner leurs faux amis.

Le jeune Paz faisait partie de l'aile gauche de la révolution espagnole, ceux qui dans les rangs ouvriers sentirent instinctivement que les dirigeants de la CNT (comme ceux du POUM) faisaient fausse route. Mais il leur manquait la formation marxiste (aux antipodes du nationalisme et de la défense de la petite propriété distillés par le PC espagnol au cours de cette période) qui pouvait permettre de s'orienter politiquement dans les événements. Refusant de pousser jusqu'au bout sa critique des dirigeants anarchistes, Paz cherche les raisons de l'échec de la révolution espagnole dans son isolement et le manque de soutien des travailleurs des autres pays.

Malgré toutes ses limites politiques, le livre de Paz reste un témoignage vivant et intéressant de ce que furent ces années de révolution.

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