Afghanistan : Pris au piège du jeu sanglant des grandes puissances28/09/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/09/une-1732.gif.445x577_q85_box-0%2C11%2C166%2C227_crop_detail.jpg

Dans le monde

Afghanistan : Pris au piège du jeu sanglant des grandes puissances

Si l'Afghanistan est aujourd'hui la cible de la puissance militaire occidentale, ce n'est pas la première fois de son histoire.

Dès la première moitié du xixe siècle, le territoire actuel de l'Afghanistan devint l'enjeu de la rivalité entre l'Empire tsariste et la Grande-Bretagne. Il fallut plus de quarante ans au colonialisme anglais pour faire basculer sa proie dans sa sphère d'influence. En 1881, après deux tentatives d'invasion ratées, la Grande-Bretagne arriva à ses fins grâce à un coup d'Etat organisé en sous-main. L'Afghanistan devint une sorte de protectorat britannique. Et en 1893, un haut-fonctionnaire britannique, Sir Montagu Durand, traça les frontières actuelles du pays de façon à en faire une zone-tampon face à l'Empire tsariste.

Les frontières ainsi tracées en fonction du rapport des forces entre les grandes puissances ne tinrent aucun compte des peuples. Et comme dans tous les pays de la région, des populations entières se trouvèrent coupées en deux. C'est ainsi que la majorité des Pachtounes, le groupe ethnique le plus important du pays (38 % de la population), se retrouve en fait au Pakistan, tandis que les autres groupes ethniques sont coupés en deux par les frontières du Tadjikistan, Ouzbékistan, Iran, Turkménistan et Pakistan.

Instabilite politique

Le remaniement des empires coloniaux, au lendemain de la Première Guerre mondiale, vit l'Afghanistan se rapprocher de la jeune Union soviétique pour échapper à l'emprise britannique.

Cette situation dura jusqu'à ce que, au début des années 1970, s'ouvre une période d'instabilité politique liée au développement de mouvements intégristes soutenus par le Pakistan, lui-même très lié à l'impérialisme américain. Pendant plusieurs années, les régimes qui se succédèrent à Kaboul hésitèrent entre maintenir leurs liens avec l'URSS et rechercher à l'Ouest des appuis politiques et économiques contre le Pakistan. Mais surtout ils se montrèrent incapables de se rallier le soutien de la population. L'autorité du pouvoir central se disloqua et le pays tomba peu à peu sous la coupe de chefs de guerre locaux, plus ou moins liés aux mouvements clandestins intégristes.

Tant et si bien qu'en décembre 1979, les troupes soviétiques envahirent l'Afghanistan, non pour protéger la population contre les excès du pouvoir ou le danger des milices intégristes, mais pour maintenir le pays dans la sphère d'influence soviétique. Il faut dire néanmoins qu'à ce moment l'intervention russe arrangeait bien l'impérialisme qui avait tout à craindre d'une aggravation de l'instabilité politique dans cette région du monde. Aussi les leaders occidentaux se gardèrent-ils bien de s'y opposer, bien trop contents qu'ils étaient de laisser l'URSS s'embourber dans une guerre meurtrière.

En revanche, pendant les neuf ans que dura cette guerre, tout fut mis en oeuvre par l'impérialisme américain pour s'assurer que l'Afghanistan ne reviendrait pas dans la sphère d'influence soviétique. Chaque année, Washington fit distribuer aux milices intégristes afghanes, dont les bases arrières étaient installées au Pakistan le long de la frontière, l'équivalent de 2,5 milliards de francs d'aide militaire. Et ce fut la dictature féroce du général Zia, qui régnait alors au Pakistan, qui fut chargée de la distribution.

Finalement, en février 1989, les troupes russes quittèrent l'Afghanistan, laissant le terrain libre à l'Occident. Mais leur départ ne ramena pas la stabilité politique. Au contraire une guerre civile larvée se développa entre les milices rivales, pour finalement éclater en guerre ouverte à partir de 1992, et menacer de s'étendre bien au-delà des frontières du pays.

L'arrivée des taliban

C'est peu après, en 1994, qu'apparut une nouvelle milice venue du Pakistan - les Taliban. Liée au second parti intégriste pakistanais, cette milice s'était constituée en recrutant des jeunes dans les camps de réfugiés afghans du Pakistan. Elle disposait de fonds considérables, à la fois d'Arabie Saoudite et des services spéciaux pakistanais - deux des véhicules favoris des USA. Surtout elle apparaissait comme une force nouvelle, qui n'était pas encore marquée par la corruption comme toutes ses rivales, et qui plus est, une force déterminée à en finir avec la guerre civile (ou tout au moins c'est ce qu'elle disait).

En tout cas, en quelques années, en s'appuyant sur la lassitude de la population face à une guerre qui durait depuis plus de 15 ans et avait causé la mort de plus de 12 % de la population, et en se proclamant seuls représentants des intérêts de l'ethnie pachtoune, les Taliban réussirent à reconquérir la plus grande partie du pays, reléguant leurs opposants dans un réduit montagneux du nord-ouest, la vallée du Panchir.

A cette époque, les dirigeants américains ne prirent même pas la peine de cacher leur soutien aux Taliban - saluant par exemple la conquête de Kaboul par les Taliban, en septembre 1996, comme une "avancée positive". Et si plusieurs milliers de soldats de l'armée pakistanaise ont participé à l'offensive des Taliban sur le front Nord, durant l'été 2000, c'est sans aucun doute avec l'assentiment de leurs protecteurs à Washington.

Peu importait alors pour l'impérialisme américain, que les Taliban veuillent plonger leur pays dans un Moyen-Âge mystique et une dictature féroce, en particulier pour ce qui est de la condition des femmes. Une seule chose comptait à Washington - que l'ordre règne à Kaboul et que le pillage impérialiste puisse continuer son cours sans avoir à se soucier d'un risque de conflit régional.

Seulement, dans la réalité, ce risque n'a pas disparu. La guerre civile continue entre les Taliban et une Alliance du Nord financée, entre autres, par l'Iran, la Russie et la France, mais dont bien des dirigeants n'ont rien à envier aux Taliban sur le plan des idées réactionnaires. Et les courants intégristes radicaux continuent à travailler toute la région grâce au terreau fertile que leur offre la décomposition sociale et économique catastrophique qui y sévit.

Le fait que les USA en soient à parler de transférer leur soutien des Taliban à l'Alliance du Nord ne change rien à l'affaire (en admettant qu'ils le fassent d'ailleurs). Le véritable danger est celui que créent les grandes puissances en jouant les apprentis-sorciers en Afghanistan, au mépris des intérêts des peuples.

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