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- Lutte ouvrière n°1727
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Ex-URSS : Il y a 10 ans... le putsch raté d'août 1991
Le 19 août 1991, profitant de ce que Gorbatchev, le président de l'URSS, prenait des vacances loin de Moscou, quelques hauts dirigeants décrétaient l'état d'urgence dans tout le pays.
Ayant fait entrer certains régiments de chars dans la capitale, les chefs du gouvernement, du KGB (la police politique), de l'armée et du PCUS (Parti communiste de l'URSS) disaient vouloir restaurer un pouvoir fort afin de stopper le processus de désintégration du pays.
L'opération sombra d'elle-même deux jours plus tard. Moins du fait d'une réelle résistance aux putschistes de la part d'autres clans dirigeants, auto-proclamés " réformateurs " ou " démocrates ", que faute de soutien au sein même de l'appareil d'Etat, et d'abord de ses secteurs chargés du maintien de l'ordre : armée, KGB, police. C'était la confirmation des dégâts provoqués, en quelques années, dans l'appareil dirigeant de la bureaucratie au fil des luttes de pouvoir au sommet de l'Etat.
Un processus de désintégration provoquée
En effet, depuis 1985 et son arrivée à la direction de l'URSS, Gorbatchev s'était heurté à toutes sortes d'oppositions de la part de la haute bureaucratie. Pour tenter de briser ces entraves à son pouvoir, il avait lancé des " réformes " (la péréstroïka) flattant la soif d'enrichissement de larges couches de la bureaucratie, puis de la petite bourgeoisie. Mais il avait été vite débordé par les forces sociales qu'il avait mises en appétit et qui s'étaient engagées dans une course de plus en plus effrénée au pillage du pays. Cela avait paralysé et désorganisé ce qu'il restait d'économie planifiée et étatisée dans cet Etat, né de la première révolution ouvrière victorieuse, malgré des dizaines d'années de dictature antiouvrière de la bureaucratie depuis Staline.
Ce processus de désintégration et de paralysie s'était d'autant plus fait sentir à la fin des années quatre-vingt qu'il s'était trouvé, au sommet de l'Etat, d'autres hauts bureaucrates (dont un certain Eltsine à la tête de la Russie soviétique) pour renchérir, à leur propre compte, sur la démagogie de Gorbatchev et contre ce dernier.
Au fil de ces événements, et ceux-ci s'emballèrent en trois-quatre ans, d'un bout à l'autre du pays, tout l'appareil dirigeant de la bureaucratie avait été entraîné dans des luttes de clans ouvertes parmi les sphères du pouvoir.
La course au chaos
Les responsables de ces appareils, y compris de ceux des forces de répression, avaient désormais noué des liens bien trop étroits avec les dirigeants locaux de la bureaucratie, qui contestaient le pouvoir central afin d'établir le leur à la tête des républiques de l'URSS, pour pouvoir encore réagir collectivement comme le leur demandaient les auteurs du putsch. Toute tentative en ce sens aurait risqué de briser ces appareils, voire de provoquer des affrontements entre cliques dirigeantes rivales, avec le risque que la population y prenne part. Or, de cela, ni les putschistes ni leurs adversaires n'en voulaient. Tous craignaient comme la peste une intrusion des masses dans leurs querelles internes. Voilà pourquoi aucun des deux camps n'appela la population à la rescousse durant le putsch. Eltsine put prendre une pose théâtrale sur un char pour appeler la population à la désobéissance passive, il se garda d'organiser la grève générale qu'il avait évoquée, et plus encore d'inciter les soldats à l'insubordination.
L'échec du putsch scella le sort de Gorbatchev et, à travers lui, de l'URSS. Politiquement affaibli face à Eltsine, Gorbatchev fut contraint de démissionner de la tête du PCUS, et Eltsine en profita pour interdire ce parti dont il avait été un des dirigeants avant de le quitter afin de se rallier toute une frange de la petite bourgeoisie.
Avec ce nouvel affaiblissement du pouvoir central suite à l'échec du putsch, la voie était désormais ouverte pour que les chefs des quinze républiques de l'URSS puissent se tailler des fiefs n'ayant plus à rendre compte à aucune tutelle centrale. Aussitôt, la plupart proclamèrent leur indépendance (alors qu'en juin, donc deux mois plus tôt, un référendum à l'échelle du pays avait montré qu'une large majorité de la population voulait le maintien de l'URSS).
Finalement, en décembre, Eltsine et ses homologues dirigeants des deux autres républiques slaves, l'Ukraine et la Biélorussie, décidèrent d'en finir avec l'URSS afin de se débarrasser de Gorbatchev, qui en était encore le président en titre. Le pays éclata en quinze Etats indépendants, mais sans pour autant que cesse le processus de décomposition du pouvoir qui avait provoqué la disparition de l'URSS.
Démembré, livré au pillage des privilégiés de la couche dirigeante, ce qui était encore peu avant un Etat unifié et la seconde puissance mondiale s'enfonçait dans le chaos.
Dix ans après
Nulle part en Russie la commémoration du putsch avorté d'août 1991 n'a fait recette. A Moscou, ceux qui s'affirment encore opposés aux putschistes n'ont pu organiser un concert devant la Maison blanche (le siège de la chambre des députés), là où Elstine avait organisé la prétendue " résistance " au putsch. Ce sont les autorités russes, pourtant héritières du camp sorti vainqueur du putsch, qui ont interdit la célébration de cette " victoire ". En revanche, peu auparavant, elles avaient autorisé la tenue d'une conférence de presse des anciens putschistes, amnistiés depuis 1994, où plusieurs ont tressé des couronnes au nouveau chef du Kremlin, Poutine.
Il n'y a là nul paradoxe. L'Etat russe n'en finit pas de pâtir des suites du processus de désintégration dans lequel l'ont entraîné ses propres dirigeants depuis plus de dix ans. Le pouvoir central peine toujours autant à s'affermir, à établir son autorité sur les régions et sur son propre appareil d'Etat. Et ne parlons même pas de l'instauration d'une économie de marché, censée rimer avec abondance, prospérité et démocratie (comme le promettaient les " démocrates " de 1991) : au gré d'une économie de pillage hautement profitable aux membres de la bureaucratie et aux parasites qui prospèrent dans leur sillage, ce n'est pas le marché qui s'est mis en place, mais le bazar, dans tous les sens du terme, à commencer par celui de chaos.
Face à cela, ce n'est pas d'hier que les sphères dirigeantes ou la presse russes en appellent à la " dictature de la loi ", vantent l'Etat fort à la chinoise ou à la chilienne sans lequel, disent-ils, il ne saurait y avoir d'avancée sur la voie du marché. Poutine ne dit pas autre chose. Seul l'avenir dira s'il a les moyens de ses ambitions. Mais comme conseillers sur cette voie, à la différence d'un Eltsine qui allait les chercher outre-Atlantique, il choisirait plutôt parmi les putschistes d'il y a dix ans. Eux aussi promettaient la " dictature de la loi "...