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- Lutte ouvrière n°1722
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Grande-Bretagne : Les émeutes de Bradford - une jeunesse prise au piège entre la marginalisation sociale et le racisme
Après Oldham et Burnley à la fin juin, la ville de Bradford a été à son tour le théâtre d'émeutes du 7 au 9 juillet. Pendant trois nuits, de violents affrontements ont opposé des centaines de jeunes d'origine pakistanaise aux unités anti-émeute venues en toute hâte des quatre coins du nord de l'Angleterre.
Comme précédemment à Oldham et à Burnley, des nervis d'extrême droite du British National Party avaient contribué à tendre une atmosphère déjà très chargée de racisme, en multipliant les provocations. Et il a suffi d'un incident raciste de trop pour mettre le feu aux poudres - cette fois, le passage à tabac d'un jeune Pakistanais par une bande de racistes éméchés dans un pub. En moins d'une heure, plus d'un millier de jeunes du quartier pakistanais de Manningham se sont armés de cocktails molotov et de frondes pour s'attaquer à la police anti-émeute venue protéger le pub où s'était déroulé ce passage à tabac.
Contre la pauvreté autant que contre le racisme
Mais cette fois, contrairement à ce qui s'était passé dans les autres villes, où il s'agissait avant tout de batailles rangées avec la police, les émeutiers ne se sont pas contentés de se battre avec les unités anti-émeute. Ils se sont retranchés dans leur quartier, ont dressé des barricades et s'en sont pris à de nombreux édifices qu'ils ont mis à sac ou incendiés.
De ce point de vue, la rage des émeutiers de Bradford rappelle celle des jeunes, en majorité d'origine antillaise, qui avait explosé il y a vingt ans, durant l'été 1981, dans les quartiers pauvres des grandes villes du pays. Car, comme alors, cette rage vise à la fois le racisme antipauvre et le racisme tout court d'une police haïe, mais aussi tout ce qui peut symboliser les richesses interdites à jamais aux jeunes émeutiers.
Tout comme Oldham et Burnley, Bradford est un désert économique où la déroute de l'industrie textile a laissé un chômage chronique. Et les plus touchés sont évidemment les plus pauvres, en particulier la fraction d'origine pakistanaise de la population de couleur (15% de la population totale) mais également toute une partie de la population autochtone blanche.
C'est aussi cette fraction la plus pauvre qui a payé au prix fort l'austérité des gouvernements conservateurs et travaillistes des deux dernières décennies et la dégradation accélérée de toute l'infrastructure urbaine qu'elle a entraînée, en particulier dans le logement et les écoles. Et cette dégradation a contribué à exaspérer les jalousies, les rancoeurs et les préjugés racistes, attisés par les politiciens de tout bord et leur démagogie contre les immigrants.
Ce sont les mêmes politiciens - travaillistes et conservateurs - qui dénoncent les émeutiers comme des "criminels", qui sont responsables de la situation, du fait de la politique qu'ils ont menée au pouvoir.
Une politique qui alimente le racisme
Mais le plus scandaleux, c'est que ces mêmes politiciens qui aujourd'hui parlent de "criminels" pour nier la réalité du racisme ont contribué d'une autre façon encore à la ghettoïsation raciale. Depuis les émeutes de 1981, la politique des gouvernements successifs a été de mettre sur un piédestal de prétendus "leaders communautaires", choisis en général pour leur conservatisme (le plus souvent des leaders religieux), en les arrosant de subsides et de titres ronflants. Et c'est une politique que Blair a non seulement intégralement reprise à son compte, mais qu'il s'apprête à étendre en confiant le contrôle d'écoles d'Etat à la hiérarchie des minorités religieuses.
Les pauvres d'origine immigrée n'ont bien sûr jamais bénéficié de ces largesses, qui n'ont profité qu'à une toute petite minorité de notables. Mais les fonds d'Etat alloués à la construction de mosquées, par exemple, ne sont pas passés inaperçus de ceux qui, dans la population blanche, réclamaient en vain qu'on vienne réparer les canalisations bouchées de leurs HLM.
Cette politique visant à faire encadrer les pauvres d'origine immigrée par des appareils réactionnaires a alimenté le racisme dans les rangs des pauvres blancs, et elle a facilité le développement de courants réactionnaires parmi les victimes de ce racisme - en particulier des courants intégristes dans la population d'origine pakistanaise. C'est ce qu'on a pu voir à Bradford lorsque les émeutes se sont accompagnées d'une floraison de slogans intégristes sur les murs et de l'incendie d'un "workingmen's club", sorte de pub coopératif ouvrier qui est l'un des symboles traditionnels du mouvement ouvrier britannique. Et cela ne peut que creuser encore plus le fossé entre les plus pauvres. C'est d'ailleurs l'un des objectifs des courants intégristes.
Le gouvernement travailliste de Tony Blair peut bien, comme il l'a fait lors des émeutes de juin, accuser les provocations des groupes d'extrême droite. Certains députés travaillistes peuvent réclamer l'interdiction de toute manifestation antiraciste sous prétexte de "ne pas enflammer les esprits". Il n'en reste pas moins que c'est la politique de Blair, sa servilité vis-à-vis des puissances d'argent aussi bien que sa démagogie complaisante envers les bigots de tous poils et autres courants réactionnaires, qui alimente le racisme.
Pour l'instant les jeunes qui se révoltent contre les effets de cette politique, comme à Oldham ou à Bradford, ne font que se cogner la tête contre les murs. Tant qu'ils en restent-là leur colère ne peut les mener nulle part. Il en serait tout autrement si la classe ouvrière britannique reprenait enfin conscience de sa force pour passer à l'offensive contre une politique dont elle n'a fait que payer trop lourdement le prix sous les conservateurs puis sous les travaillistes. Elle et elle seule, dans le cadre d'une telle offensive, aurait la capacité d'unir les rangs du monde du travail, et en particulier d'entraîner les jeunes pauvres, quelle que soit la couleur de leur peau, dans un combat qui puisse les mener hors de l'impasse actuelle.