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L'"affaire Ben Barka" : Un assassinat d'Etat(s)
Le journal Le Monde vient de publier le témoignage d'un ancien agent secret marocain sur l'assassinat par le ministre de l'Intérieur marocain lui-même, Oufkir, non loin de Paris, à la Toussaint 1965, de l'opposant Mehdi Ben Barka, enlevé à Paris deux jours plus tôt.
Cette confession ne vient que confirmer sur l'essentiel ce que tout le monde connaissait déjà. Il donne seulement des précisions sur les conditions sordides dans lesquelles le corps de l'opposant a été détruit.
Comme contre bien d'autres militants de la cause du Tiers Monde, de nombreux acteurs ont collaboré à cet assassinat : de la CIA américaine aux services de renseignements français et marocains, de la pègre des deux rives de la Méditerranée à des politiciens français véreux, en passant par le roi du Maroc Hassan II et ses ministres ou encore certains proches du ministre de l'Intérieur français de l'époque, Roger Frey. Quant à de Gaulle, qui avait pourtant un rendez-vous avec l'opposant marocain prévu pour le lendemain de son enlèvement, mis sans doute devant le fait accompli, il couvrit l'affaire sans sourciller.
Cette collaboration multiforme n'a rien pour surprendre. Les uns et les autres avaient suffisamment d'intérêts communs, sinon pour assassiner le leader marocain qui mourut sous la torture, du moins pour l'enlever, le ramener au Maroc et le tenir à la merci d'Hassan II. Dans ce pays, terre de concurrence entre les impérialismes français et américain, les services, secrets ou pas, des deux pays pouvaient rivaliser de dévouement auprès des tueurs marocains.
Car Ben Barka était de ces dirigeants qui prônèrent aux temps de la décolonisation une hypothétique troisième voie, celle des jeunes Etats du Tiers Monde, celle du "non-alignement" face aux deux blocs, occidental et soviétique.
Ancien président de l'Assemblée nationale marocaine au lendemain de l'indépendance, Ben Barka avait rompu en 1959 avec le parti gouvernemental et avait dû s'exiler une première fois en 1960, alors qu'une vague d'arrestations s'abattait sur le nouveau parti qu'il venait de créer.
Après la mort du roi Mohammed V, et l'arrivée sur le trône de son fils devenu Hassan II, Ben Barka était retourné au Maroc en 1962, mais pour repartir définitivement en exil quelques mois après, à la suite d'une tentative d'assassinat organisée contre lui par la police marocaine.
Dès lors, Ben Barka était apparu non seulement comme le principal opposant marocain, mais aussi par son activité internationale comme un leader du mouvement tiers-mondiste radical. Ami de Fidel Castro, il était au moment de son enlèvement l'un des principaux organisateurs de la "Conférence Tricontinentale" qui devait réunir, en janvier 1966 à La Havane, les dirigeants de divers mouvements du Tiers Monde. Pas étonnant qu'il soit apparu, aux yeux des défenseurs de l'impérialisme et à leurs hommes-liges dans l'ancien "protectorat" du Maroc, comme un homme à abattre.
Aujourd'hui, la confession du repenti vient à un bon moment. Le successeur de Hassan II, Mohammed VI, tente de donner un visage moins autoritaire à son régime, afin de plaire à une certaine frange de l'opinion publique marocaine, mais aussi à l'opinion publique des pays de l'Union européenne, à laquelle les dirigeants marocains voudraient une intégration plus grande.
Commencer à laisser dire officieusement une partie de la vérité sur la disparition du célèbre opposant, c'est peut-être préparer sa réhabilitation officielle. Mais cela ne garantira en rien que demain de tels assassinats d'Etat ne se reproduiront pas, au Maroc ou ailleurs.