Des "entreprises sans usines", mais pas des travailleurs sans défense06/07/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/07/une-1721.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Editorial

Des "entreprises sans usines", mais pas des travailleurs sans défense

De semaine en semaine, on peut voir ce qu'est la réalité de cette "modernisation sociale" dont parlent le MEDEF, le gouvernement et certains dirigeants syndicaux.

Tchuruk, le PDG d'Alcatel, a annoncé son intention de se débarrasser de la quasi-totalité des usines de son groupe, n'en conservant que 12 sur 120. Alcatel deviendrait alors, selon la formule délibérement provocante qu'il a employée, "une entreprise sans usines".

Cela ne signifie pas qu'Alcatel cesserait d'amasser les profits considérables qu'il réalise en exploitant des dizaines de milliers de travailleurs, mais simplement qu'il revendrait ces travailleurs, en même temps que les usines qu'il possède, à des sous-traitants.

Du coup, Alcatel n'aurait plus à s'occuper d'imposer les cadences de travail, ni des embauches et surtout des licenciements. Ce serait à ces sous- traitants de le faire. Il leur reviendrait de choisir les méthodes les plus efficaces pour produire, pour licencier, pour déplacer leurs usines, ou même pour s'évanouir dans la nature comme cela s'est vu. Alcatel et ses actionnaires se contenteraient d'encaisser les dividendes.

Pour les salariés, cela impliquerait à coup sûr une remise en cause, à la baisse, de leurs salaires, une détérioration de leurs conditions de travail... et pour nombre d'entre eux, la porte. Les licenciements prévus se situeraient entre 10 000 et 12 000 salariés, "chiffres somme toute modestes", ose déclarer Tchuruk, qui jongle avec les milliards comme il jongle avec le sort des travailleurs. On voudrait le voir, lui et ses semblables, pointer à l'ANPE, et vivre, lui et sa famille, avec le RMI.

Modeste, ce chiffre ? Pas pour ceux qui seront dans la charrette des licenciés. Et encore moins si on y ajoute ceux déjà prévus et à venir dans des entreprises qui comme Alcatel se "restructurent". Leur liste défraie la chronique, et elle s'allonge de jour en jour. Car Tchuruk n'innove pas. Les mesures qu'il vient d'annoncer sont les mêmes que les capitalistes appliquent depuis des années dans toutes les branches de l'économie. "Délocalisation", "externalisation", "sous-traitance" sont des mots que tous les travailleurs ont appris à connaître, pour en avoir dans maints endroits subi les effets. Les actionnaires savent eux aussi de quoi il retourne, pour empocher, à chaque fois, les plus-values que ces décisions produisent.

Ces restructurations d'entreprises à jet continu, ces licenciements en rafales ne pouvaient pas manquer de se traduire dans les chiffres, pourtant trafiqués, du chômage. Effectivement, ils recommencent à croître, marquant la fin de "l'embellie" dont se vantait le gouvernement.

Cette embellie, les travailleurs n'en ont pas vu la couleur. Mais le fait qu'aujourd'hui le ciel économique a l'air de s'assombrir va immanquablement servir de prétexte pour justifier de nouveaux sacrifices que l'on imposera aux salariés. Les capitalistes, eux, connaissent la bonne méthode pour s'en tirer à leur avantage. Quand tout va bien, ils bloquent les salaires et ils licencient. Et quand cela va moins bien, ils font... la même chose.

Et c'est au moment où l'on annonce que le chômage recommence à augmenter que prend effet officiellement le PARE, cette mesure décidée à l'initiative du MEDEF, et acceptée par les socialistes, qui vise à réduire les droits des chômeurs, en les contraignant, à terme, à accepter n'importe quel travail, aux conditions imposées par le marché du travail, c'est-à-dire par les besoins des patrons. C'est un autre volet de ce que le gouvernement appelle, sans rire, la "modernisation sociale".

Les travailleurs ne peuvent compter que sur la force qu'ils représentent, collectivement, pour mettre un coup d'arrêt à ce qu'il faut appeler la régression sociale dont ils sont les victimes.

Tchuruk parle "d'entreprises sans usines". La classe ouvrière pourrait rappeler à cet individu et à ses semblables que les millions d'exploités, ceux dont le travail est à l'origine de leurs fabuleux profits, ne sont pas des "êtres virtuels" mais des femmes et des hommes, en chair et en os, qui sauront se défendre, collectivement. Et le plus tôt sera le mieux.

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