Argentine : Corruption au sommet de l'Etat06/07/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/07/une-1721.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Argentine : Corruption au sommet de l'Etat

Si la situation économique dégradée de l'Argentine a plongé les classes pauvres dans des difficultés innombrables, la classe dirigeante, les hommes qui siègent aux sommets de l'Etat n'en continuent pas moins à prospérer. La récente arrestation de l'ex-président de l'Argentine, Carlos Menem, vient rappeler que la financiarisation croissante de l'économie, en échangeant des entreprises nationalisées contre cette poudre de perlimpinpin que sont les actions et les obligations, n'a pas mis fin, au contraire, à la corruption dans laquelle baignent depuis toujours les classes dirigeantes et les représentants du pouvoir politique.

Carlos Menem arrêté

Le 7 juin dernier, en effet, le juge fédéral Jorge Urso a ordonné l'arrestation de l'ex-président Carlos Menem, qui fut dix ans au sommet de l'Etat, tout au long des années quatre-vingt-dix. L'ex-président, membre du parti péroniste, est accusé d'avoir été à la tête d'un trafic d'armes illégal en direction de la Croatie et de l'Equateur, pays sous embargo international pour les ventes d'armes. Une situation d'autant plus choquante que dans le cas de l'Equateur, en conflit avec son voisin le Pérou, l'Etat argentin était censé agir comme un observateur et un arbitre impartial !

Cette affaire a déjà mis en cause un ancien commandant en chef de l'armée argentine, un ancien ministre de la Défense et un homme de confiance très proche de Menem.

Ses 71 ans ayant été pris en compte, Menem bénéficie du même régime, réservé aux personnalités du troisième âge, que celui des officiers supérieurs de l'armée argentine condamnés pour certains crimes pendant la dictature. Il est assigné à résidence en attente d'un procès qui n'aura peut-être lieu qu'en 2003. Il risque de 5 à 10 ans de prison.

Mais Menem pourrait subir des poursuites beaucoup plus graves s'il se confirmait que l'explosion d'une usine d'armement, qui a causé la mort de sept personnes et des centaines de blessés, avait pour cause, comme on le suppose, de faire disparaître des preuves du trafic. Sans parler de la mort suspecte du propre fils de Menem, lors d'un déplacement en hélicoptère. Un accident dont l'ex-femme de Menem a toujours dit qu'il était lié à ce trafic.

Cette affaire a surgi en 1995, quand Menem était encore président. Les trafics duraient depuis 1991. Mais le juge a attendu patiemment que l'ex- président ne soit plus au pouvoir pour le poursuivre, la procédure ayant peu de chances d'aboutir tant que Menem était président. Il est de notoriété publique qu'il suffit de distribuer des "enveloppes brunes" pour calmer les juges les plus inquisiteurs ou pour acheter des voix de députés et faire passer une loi.

Les ambitions péronistes

Le leader péroniste n'a jamais caché ses ambitions de revenir à la présidence pour un troisième mandat présidentiel, lui qui avait modifié la Constitution lors de son premier mandat pour pouvoir s'en accorder un second. Quelques jours avant son inculpation, il avait épousé une présentatrice de télévision d'origine chilienne, Cecilia Bolocco, qui a la moitié de son âge et au moins autant d'ambition que son nouvel époux. Quinze ans avant, la jeune femme s'était fait élire Miss Univers en mettant toutes les chances de son côté. Elle avait réussi à s'introduire dans les milieux dirigeants chiliens en chantant les louanges du dictateur Pinochet. Sa carrière à la télévision, par la suite, devait beaucoup à un précédent mariage avec un producteur de télévision. Ses prestations à la télévision chilienne, notamment pendant la guerre du Golfe, laissaient pourtant beaucoup à désirer, puisqu'elle confondait constamment l'Iran et l'Irak.

La corbeille des nouveaux mariés débordait d'ambitions. Menem, de son côté, n'a jamais rien négligé pour se faire élire dans le passé. D'origine syrienne, il était musulman, mais avait su embrasser la religion catholique pour gagner les voix des électeurs argentins. Avec ce mariage, il semblait vouloir faire jouer à sa jeune épouse une nouvelle édition du rôle d'Evita Peron, jeune épouse du dictateur morte à 33 ans, et toujours chère au coeur des couches les plus pauvres de l'électorat péroniste parce que son image est associée aux mesures sociales prises au lendemain de la guerre (assurances sociales, treizième mois, notamment).

Mais il y avait aussi une épine dans le bouquet de la mariée. L'annonce d'un voyage de noces à l'étranger a mis la puce à l'oreille du juge, qui y a vu un moyen d'échapper à la justice. Il a donc convoqué Menem pour un entretien qui semblait de routine, d'où il est ressorti inculpé.

Mais le train de vie de Menem est toujours apparu comme celui d'un arriviste qui dépense sans compter. Menem se dit, bien sûr, innocent. Mais tout l'accuse. Lui qui prétend avoir agi en toute légalité, a pris la précaution, par exemple, de mettre tous ses biens, notamment une très luxueuse villa, au nom de sa fille. Et, depuis sa mise en résidence surveillée, le fait qu'il ait accordé, sur l'essentiel, l'impunité aux militaires tortionnaires et assassins, est perçu par l'opinion comme une impunité dont il aimerait pouvoir à son tour profiter !

Certains commentateurs se sont étonnés que les adversaires politiques des péronistes, l'actuel gouvernement radical du président De la Rua, n'aient pas essayé de tirer avantage de cette situation. Il y a à cela une raison bien simple. La corruption est une arme de l'arsenal du Parti Radical. Il y a quelques mois, le gouvernement De la Rua était d'ailleurs soupçonné d'avoir acheté des votes d'élus pour faire passer une loi. D'où certainement cette prudence à ne pas agiter un dossier qui risque toujours, tel un boomerang, de lui revenir dans la figure.

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