Imposer l'interdiction des licenciements, c'est concret et réaliste22/06/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/06/une-1719.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Imposer l'interdiction des licenciements, c'est concret et réaliste

Robert Hue, lors de son passage au Grand Jury RTL - Le Monde le dimanche 10 juin, a repris le refrain : "L'extrême gauche occupe un terrain de protestation, incontestablement, mais la différence qu'il y a entre Arlette Laguiller et ce que nous proposons, c'est que nous, nous ne nous arrêtons pas à la protestation. La protestation, si elle ne débouche pas, comme j'essaye de le faire en ce moment, sur des propositions concrètes, est stérile".

Cette idée répétée à satiété par les dirigeants du PCF, par ceux du PS et par des politologues auto-proclamés qui se répandent dans la presse, se résume en une formule : il s'agirait, explique-t-on, d'une attitude "protestataire", qui s'accompagnerait d'un vote qualifié du même terme. Cette attitude s'opposerait à celle, réaliste et constructive, elle, de tous ceux qui s'inscrivent dans la logique du système en place.

Constatons cependant que Hue vient de redécouvrir, à l'approche d'échéances électorales il est vrai, que le profil contestataire comme il dit n'était pas si stérile, électoralement parlant, puisqu'il vient de définir, à l'issue de son dernier Conseil national, la démarche de son parti comme étant à la fois "contestataire et constructive". Encore faudrait-il préciser "contestataire" de qui ? Et constructif de quoi ?

Indéniablement, les raisons d'exprimer sa protestation se multiplient pour le monde du travail. A la fois contre une situation qui voit de plus en plus les riches s'enrichir au détriment des travailleurs, et au détriment des besoins de la collectivité, et contre la politique de ce gouvernement qui, inscrivant ses pas dans ceux de ses prédécesseurs de la droite, laisse faire, quand il n'accompagne pas ou même devance ce qui avantage les exploiteurs. Mais pour tous ces beaux esprits, pour tous ces dirigeants politiques qui ont plein la bouche du mot "démocratie", ceux qui s'insurgent contre la situation qui leur est faite seraient hors normes puisqu'ils n'acceptent pas les leurs. Ils les rejettent dans la catégorie, à leurs yeux, infamante des "protestataires".

Ceux de Lu-Danone, de Moulinex, de Philips, de Bata et de bien d'autres entreprises, après ceux de Vilvorde, de Michelin et avant ceux à venir, tout comme les centaines de milliers de travailleuses et de travailleurs qui vivent dans la précarité d'un emploi provisoire, sont en mesure de dire pourquoi, et contre qui, ils protestent.

Mais ils peuvent aussi discerner, de manière concrète, quelle politique pourrait répondre réellement aux mauvais coups de leurs patrons et ce qui relève du bla-bla et des faux-semblants.

Car le réalisme n'est pas là où on le dit, lorsqu'on se place du point de vue des intérêts du monde du travail. Accompagner les licenciements, c'est une façon d'être réaliste, certes. Mais d'un réalisme qui consiste à s'incliner devant une situation qui laisse aux patrons le pouvoir de décider, au nom de la loi du marché et de leur droit à déplacer leurs capitaux selon leur bon vouloir.

Il existe une autre manière d'agir de façon constructive, pour reprendre ce mot, en remettant en cause les droits et les pouvoirs des patrons.

Impossible ? Bien sûr que non. Des décisions qui ont réduit les prérogatives de patrons privés, y compris en leur ôtant la libre jouissance de leur propriété, il y en a déjà eu, prises par des hommes politiques qui n'avaient rien de révolutionnaires.

Dans le passé, on a connu des gouvernements qui ont su passer par-dessus des intérêts privés des patrons, en nationalisant par exemple leurs entreprises. En les indemnisant copieusement, il est vrai. Ils jugeaient ces mesures utiles, voire nécessaires à la bonne marche de la société, au service de la classe des capitalistes. Les compagnies privées de gaz, d'électricité, de chemins de fer ont été nationalisées en France afin que l'ensemble des industriels puissent bénéficier d'un réseau d'énergie et de transports cohérent et moins coûteux. Et aujourd'hui, alors qu'il s'agit de préserver la possibilité, pour des centaines de milliers de femmes et d'hommes, de vivre décemment de leur travail, alors qu'il s'agit de préserver d'un désastre économique, social et humain des villes et des régions entières, il serait impossible de le faire, sans avoir besoin d'indemniser des patrons qui ont pu, pendant des années, voire des décennies, accumuler des richesses tirées de l'exploitation des travailleurs ? Pourquoi ce qui a été réalisé dans l'intérêt d'une minorité, ne serait-il pas réalisable au profit de tous ?

Ce serait bousculer les lois d'un système incohérent et injuste. Certes ! Mais c'est la seule façon d'être constructif. Et pour y réussir, mieux vaut agir pour changer le rapport de forces entre le monde du travail et les patrons que de s'en remettre à une loi échafaudée dans les couloirs, entre députés du PS et du PCF, qui essayent de faire croire que ces questions se règlent en chambre.

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