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Leur société
Elf Story : Dumas et le Floch-Prigent dénoncent leurs copains
Roland Dumas, un des principaux personnages du feuilleton Elf Story, vient de lancer sa contre-attaque dans les colonnes du Figaro. Lui, auparavant si discret et si réservé, laisse entendre qu'il pourrait se transformer en un grand bavard et déballer les cachotteries des sommets de l'Etat. Et en attendant, il montre du doigt Elisabeth Guigou et Hubert Védrine, deux ministres du gouvernement Jospin, et anciens proches de Mitterrand. Et l'ex-PDG d'Elf, Le Floch-Prigent, acquiesce.
Pas content d'en avoir pris pour trente mois de prison, dont il est vrai seulement six de prison ferme, Dumas annonce qu'il va faire appel et menace de faire des révélations. Il demande qu'on rouvre le dossier des frégates de Thomson, accusant la justice de ne pas vouloir entendre la vérité. Il se garde bien de nommer ceux qui ont touché des commissions dans cette affaire entre Thomson et Taïwan mais signale, à la cantonade, qu'il pourrait les nommer. A bon entendeur...
Ces commissions étaient d'ailleurs des rétro-commissions puisque, contrairement aux pratiques traditionnelles, elles auraient dû être versées après la livraison des vedettes. Mais elles ne l'ont jamais été car la banque suisse où l'argent avait été déposé l'a bloqué, soit la bagatelle d'un milliard de francs, revenu ces jours-ci à la surface.
Dumas trouve la justice guère active. Il y voit "la volonté de protéger ceux qui sont encore aux commandes". Il indique la direction dans laquelle il faut chercher des responsables : "Quand Le Floch [l'ex-PDG d'Elf] raconte qu'il était allé consulter le président [Mitterand] et que tout l'environnement de l'Elysée était informé de cette affaire : Mme Guigou, M. Védrine, c'est sûrement la vérité. Edouard Balladur, qui était Premier ministre, a également donné son accord". Et il s'en prend à Guigou : "Si vous voulez dire que je paie pour Mme Guigou, je ne peux vous démentir [...]. Je pense qu'elle n'a pas toujours contribué au bon fonctionnement de la justice."
Les ministres mis en cause, Guigou, Védrine, ont réagi et fait des déclarations sur le mode : "Il n'y a pas d'abonné au numéro que vous avez demandé".
Dumas n'est pas le seul à se mettre à table. L'ex- PDG d'Elf, Le Floch-Prigent, condamné à trois ans et demi de prison, multiplie également les déclarations accusatrices. Il a mis en cause Madelin (qui l'a admis), président de Démocratie Libérale, et Léotard, député du Var, comme utilisateur des avions d'Elf, au même titre que Pasqua, mis en cause à ce titre dans une autre affaire de corruption, et d'ailleurs, "comme tout le monde".
Et le Floch-Prigent d'expliquer les coulisses de la vie politicienne. Aux membres du gouvernement en place, les avions de l'armée de l'air (le Glam). Aux membres de l'opposition les avions d'Elf. Et, à chaque changement de gouvernement, les uns et les autres échangeaient leur maroquin de ministre et leur siège d'avion. Dans un magazine allemand, il a expliqué en détail le mécanisme des commissions occultes et indiqué que dans l'affaire de la raffinerie Leuna (qui a rapporté des pots-de-vin au parti de Kohl, la CDU), selon lui, les responsables sont "tous les collaborateurs de l'époque du président de la République concernés par les affaires européennes". Et de nommer, outre les deux ministres déjà cités par Dumas, Edith Cresson, feu Bérégovoy et Anne Lauvergeon.
Dumas et Le Floch-Prigent tombent d'accord pour dire que dans les cercles étroits des milieux gouvernementaux, Elf était considéré comme "la vache à lait de la République". Et c'est bien pourquoi ces deux-là sont fort mécontents d'être les boucs émissaires d'un système dont ce tout petit monde a pu bénéficier pour financer ses activités politiques diverses et accessoirement arrondir sa fortune personnelle.
Une autre affaire occupe l'actualité : la garde à vue de deux proches de Pasqua, Robert Feliciaggi et Michel Tomi, que l'on pourrait ranger dans la catégorie "bandits corses". Elle rappelle accessoirement que, depuis toujours, les barbouzes gaullistes, dont Pasqua fut longtemps un des responsables, cultivaient des relations, on suppose fructueuses, avec ce qu'il est convenu d'appeler le milieu.
Ces deux-là sont mis en cause dans une affaire de commission qui aurait accompagné la revente d'un casino à Annemasse, révélant un système de blanchiment d'argent sale via le paradis fiscal de Monaco. Dans le chassé-croisé de commissions et d'argent que les enquêteurs essayent de démêler, il y a un "don" de 7,5 millions de francs qui est allé alimenter la caisse du parti de Pasqua, le RPF, via la fille de l'un des deux Corses placés en garde à vue. Selon les enquêteurs, cette commission aurait pu récompenser le fait que Pasqua, quand il était ministre de l'Intérieur, avait autorisé l'ouverture du casino d'Annemasse contre l'avis de la commission des jeux. Bien sûr, tous les protagonistes prétendent le contraire.
En attendant, on voit à travers ces affaires que tout est bon pour assurer que les politiciens qui défendent la libre entreprise ne manquent de rien. Dans les hautes sphères de l'Etat les "vaches à lait" sont apparemment multiples, diverses, et parfois pittoresques, mais toutes, elles assurent aux membres des partis de la bourgeoisie, le nécessaire (les déplacements en avion gratuits, etc.), voire le superflu (les bottines...).
Paradoxalement, ces facilités doivent les aider à mettre en oeuvre une politique qui a pour conséquence de mener la vie dure à la grande majorité de la population, à qui on essaye de faire avaler qu'il n'y a pas d'argent pour augmenter les salaires, qu'il faut sabrer dans les budgets, qu'il est nécessaire de supprimer des emplois en cascade, etc. Et le comble est de voir tous ces responsables politiques ou patronaux s'étrangler quand un petit juge, qui ne fait que son métier, leur demande des comptes. On les voit alors balayer d'un revers de main les accusations, comme Pasqua, ou s'offusquer comme Dumas. On n'a donc pas compris que, quoi qu'ils aient pu faire, "leurs grandeurs" se considèrent comme intouchables.