Bata - Moussey (Moselle) : Les travailleurs n'acceptent pas la décision de Bata de mettre la clé sous la porte22/06/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/06/une-1719.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Bata - Moussey (Moselle) : Les travailleurs n'acceptent pas la décision de Bata de mettre la clé sous la porte

Dépôt de bilan en vue et abandon par la multinationale Bata de la production à Moussey, en Moselle ; deux semaines de grève ont confirmé les projets de la direction révélés par un courrier anonyme (LO 1718 du 15/06/01). La direction de Bata joue le pourrissement et étale son cynisme. Les grévistes n'ont nulle envie de reprendre le travail pour se retrouver dehors dans quelques semaines. Ils multiplient les actions : opérations escargot sur les routes, blocages filtrants, présence sur les marchés, manifestations de rue... Et ils bénéficient du soutien de la population.

Depuis le 6 juin, des piquets de grève sont installés, 24 h sur 24, à la porte de l'usine Bata de Moussey, essentiellement pour empêcher la livraison des 450 000 paires stockées dans le dépôt alimentant les magasins Bata. Mais, lundi 18 au soir, même l'accès des piétons à l'usine a été complètement bloqué par des chariots sortis par des délégués et des grévistes. L'écoeurement était à son comble : la direction, lors d'un Comité d'entreprise extraordinaire tenu le jour même à la sous-préfecture de Sarrebourg, venait de confirmer qu'elle préparait la liquidation du site après un dépôt de bilan qui ne devrait plus tarder. Plus d'une centaine de grévistes avaient attendu trois heures, dans la rue, la fin de cette réunion à l'issue de laquelle la représentante de l'intersyndicale (CFDT-CGT-CGC) s'est dite "écoeurée" par l'"attitude" de la direction. Elle appelait à "durcir le mouvement". Il faut dire que la volonté de négociation, affirmée à de nombreuses reprises par l'intersyndicale, se heurte à un mur : Bata ne veut plus produire en Moselle et veut se débarrasser de sa dernière grande usine en Europe.

La grève a le soutien de la population

Les grévistes ont reçu le soutien de nombreuses délégations de syndicalistes de Dieuze, de Nancy, de l'usine Renault de Batilly et même des délégués de l'usine LU de Ris-Orangis. Toutes ces visites remontent le moral et aident à tenir. Comme ces retraités de l'usine venus à plusieurs reprises tenir le piquet de grève. De même la solidarité joue à plein : mardi 19 juin, 90 000 F avaient déjà été collectés.

La grande nouveauté de cette grève est la présence massive de l'encadrement et des employés. C'est l'attitude de la direction qui leur a fait comprendre que ouvrier, chef, employé ou cadre, nous sommes tous des travailleurs. Bien sûr, il y a des exceptions comme en témoigne, le dernier week-end, la venue d'un chef particulièrement honni par les travailleurs, au surnom évocateur de "fils d'Hitler", faisant de la provocation avec son chien au piquet de grève. Il s'est fait copieusement conspuer ! On ne l'a plus revu... et ça vaut peut-être mieux pour lui.

La direction prétend que le blocage fait perdre 500 000 F par jour à Bata et exige la reprise du travail. L'intersyndicale a bien évoqué l'idée d'un vote là-dessus, mais, à ce jour, l'écrasante majorité est contre, malgré l'inquiétude - bien présente - sur la paye à venir. Tout le monde sait que, dans quelques jours, dans quelques semaines, ce sera le dépôt de bilan avec des centaines de licenciements à la clé. Alors reprendre le travail avec une telle perspective ne dit rien à personne. Et mardi 19 juin, la grève tenait toujours bon, une grande manifestation régionale était en préparation pour le 20 juin à Metz avec un appel des unions départementales.

De leur côté, tous les élus s'affirment solidaires des Bata : cela va de la compassion des élus de droite du secteur - certains en profitent pour demander de nouvelles baisses des "charges" sociales - à la dénonciation par le ministre de l'Industrie, Pierret, des "méthodes" de Bata. Mais comme solution, il ne préconise que l'extension à la chaussure de l'accord CATS (Cessation Anticipée d'Activité pour les Travailleurs Salariés) signé dans le textile. Un accord qui ne pourrait concerner qu'une minorité de salariés, et avec un revenu équivalant à 65 % du salaire brut ; il n'est pas acceptable pour les travailleurs de Bata qui sont dans leur écrasante majorité au niveau du Smic.

Réquisitionner les profits pour assurer les salaires

Pour justifier le dépôt de bilan, la direction du groupe explique que l'usine Bata de Moussey aurait fait 42,1 millions de pertes l'an dernier. Mais ces pertes affichées sont en trompe l'oeil parce que Bata a bien pris soin de séparer ses activités : le réseau de distribution des magasins Bata a fait, lui, 17,8 millions de bénéfices. Et la holding Bata SA, qui chapeaute toutes les activités de Bata en France, affiche pour l'année 2000 un bénéfice de 8,4 millions de francs. Mais surtout, toutes les activités de Bata au niveau mondial mènent à une seule et même famille. Peut-être fait-elle moins de profits, voire même des pertes, ici ou là, mais au final, elle est riche à milliards : les pertes de Bata ressemblent à celles de quelqu'un qui aurait un découvert de 100 F à la banque mais un bas de laine de 100 millions chez lui !

Alors, pas question d'accepter le diktat de Bata qui, pour faire un peu plus de bénéfices, est prêt à ruiner des centaines de familles ouvrières et toute une région. La fortune accumulée depuis des décennies par la famille Bata doit permettre à tous les travailleurs de Moussey d'avoir un revenu garanti jusqu'à leur retraite.

Et il n'y aurait sans doute nul besoin pour cela de décrocher toutes les toiles de maîtres qui ornent le palais des Bata à Toronto.

Correspondant LO

Un empire industriel aux mains d'une famille

58 usines qui produisent 150 millions de paires de chaussures, 4 700 magasins (et 100 000 franchisés), des activités dans 70 pays, 51 000 salariés, 14,4 milliards de chiffre d'affaires... Voilà ce que représente l'empire de la multinationale Bata. Une multinationale aux mains de la famille du même nom, riche à milliards, qui vit dans un véritable palais à Toronto au Canada.

A Moussey en Moselle, 875 travailleurs sont employés à l'usine. La moyenne d'âge est de 42 ans, et de nombreux couples y travaillent ensemble. Mais, avec la même désinvolture qu'on claque la porte de son frigo, la famille Bata veut claquer la porte de cette usine où des générations d'ouvriers lui ont permis, depuis les années 1930, de construire une partie de sa fortune.

La chaussure, ça marche !

L'an dernier, c'était le groupe André qui se prétendait en pertes et supprimait 450 emplois. Aujourd'hui André annonce plus de 56 millions de francs de bénéfices. Les groupes capitalistes liquident nos emplois pour grossir leurs profits et, en plus, ils ont le culot de dire que c'est le niveau élevé de nos salaires - le SMIC - qui en est responsable !

Comme tous les groupes du textile ou de la chaussure, Bata a reçu des milliards d'aides publiques, d'allégements de cotisations sociales, d'aides pour les 35 heures, etc. A quoi tous ces milliards ont-ils servi puisque l'industrie de la chaussure a perdu la moitié de ses 40 000 emplois en dix ans ? L'Etat devrait interdire les licenciements dans ce secteur où les contribuables ont versé des fortunes qui n'ont servi qu'à enrichir des groupes capitalistes déjà fort riches.

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