Etats-Unis : A propos de la crise de l’électricité en Californie08/06/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/06/une-1717.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Etats-Unis : A propos de la crise de l’électricité en Californie

Nos camarades trotskystes américains, qui publient le bimensuel The Spark, reviennent dans le numéro du 7 mai 2001 sur la faillite de la crise de la fourniture d’électricité qui frappe la Californie depuis plusieurs semaines, entraînant des coupures d’électricité en cascade dans les lieux publics et qui a pour origine la décision prise en 1996 par les autorités de l’Etat de Californie de déréguler la fourniture d’électricité. A partir de là, les propriétaires des compagnies d’électricité ont choisi de spéculer sur les tarifs de l’électricité tout en élargissant leurs activités sur le plan financier. Et les cabinets d’expertise américains ont déjà commencé à calculer ce que cette crise, qui rapporte aux actionnaires et aux dirigeants des compagnies d’électricité concernées, va coûter à la collectivité. Selon l’un d’entre eux, les interruptions de courant électrique attendues au cours de l’été pourraient coûter 21,8 milliards de dollars de manque à gagner en 2001, entraîner la suppression de 135 000 emplois, causer une perte de 4,5 milliards de dollars sur les revenus des ménages et réduire le taux de croissance de la Californie à un taux de 0,6 % contre 2,6 % espérés...

Californie : la compagnie d'électricité Pacific Gas and Electricity se déclare en faillite - Mais où veulent-ils en venir ?

Le 6 avril dernier, le mélodrame de la dérégulation de l'électricité en Californie a pris un nouveau virage quand le fournisseur public qui alimente le centre et le nord de la Californie, Pacific Gas & Electricity (PG & E), s'est déclaré en faillite.

Les porte-parole de PG & E ont dit que la compagnie n'avait pas d'autre choix que de faire ce choix drastique, soi-disant pour se protéger de ses créanciers. Celle-ci aurait déjà à régler neuf milliards de factures qu'elle ne serait pas en mesure d'acquitter. Selon les dirigeants de l'entreprise, PG & E se trouve coincée au milieu de la dérégulation de l'électricité. Alors que la compagnie doit payer le coût exorbitant du prix de gros dérégulé de l'électricité, ils prétendent que PG & E n'a pas été autorisé par les représentants de l'Etat encadrant le secteur de faire payer ce coût aux consommateurs. Comme si les clients de cette compagnie étaient en mesure de payer des factures d'électicité trois ou quatre fois plus cher que l'année précédente !

Mais si PG & E était réellement à court d'argent, comment a-t-elle pu organiser, quelques heures seulement avant l'annonce de la banqueroute, un «raclage» de fonds de tiroir qui a permis de verser des primes sur les payes des quelque 6 000 membres de son encadrement ? Comment a-t-elle pu, quelques semaines seulement après l'annonce de sa faillite, continuer de verser les dividendes trimestriels d'un montant de 110 millions de dollars (environ 800 millions de francs) à ses actionnaires, tout en conservant suffisamment d'argent pour accorder des hausses de salaires pouvant grimper jusqu'à 300 000 dollars (environ 2,5 millions de francs) à chacun de ses hauts dirigeants d'entreprise ?

La transformation d'une compagnie locale en un fournisseur national d'énergie

La loi qui a dérégulé l'électricité en Californie a été adoptée en 1996. Depuis lors, PG & E a évolué d'une compagnie régulée fonctionnant seulement en Californie et collectant, bon an mal an, un «modeste» 11 % de profit, en une compagnie propriétaire de trente centrales électriques dans vingt et un Etats, fournissant en électricité et en gaz un Américain sur vingt, ainsi qu'un des plus grands transporteurs de gaz naturel canadien, et un vendeur de produits et de services énergétiques à travers toute l'Amérique du Nord.

Comment PG & E a-t-elle pu faire cela en un temps si court ? D'abord, la loi de dérégulation que les dirigeants de PG & E ont aidé à rédiger en 1996 autorisait une compagnie parente, la PG & E Corporation, à utiliser l'ancienne société, PG & E, encore encadrée par les lois d'Etat, comme une vache à lait fournisseuse de trésorerie. PG & E Corp a vidé l'entreprise de ses secteurs les plus profitables, dégageant des milliards de dollars pour les injecter dans de nouvelles actitivités. En d'autres termes, tandis que les contribuables pensaient payer pour de l'électricité ou du gaz, contribuant au maintien de l'infrastructure et participant à la construction de nouvelles entreprises, en fait, PG & E était en train de prendre l'argent et de s'en servir pour étendre grandement son empire financier.

PG & E prétend être coincée dans un étau parce qu'elle a été forcée de vendre toutes ses entreprises générant de l'électricité. Ce n'est pas vrai. PG & E a gardé la moitié de ses centrales électriques, y compris son réseau de barrages hydroélectriques, ses centrales nucléaires de Diablo Canyon et beaucoup de ses centrales au charbon. Il se trouve qu'elles sont aussi ses centrales les plus profitables. Mais elle n'a pas laissé ces entreprises sous la direction de l'ancienne compagnie. Au contraire, elles les a intégrées dans une nouvelle filiale de PG & E, appelée National Energy Group. Cette filiale n'est pas régulée par le gouvernement et, depuis 1998, a été libre de facturer les tarifs en cours, les mêmes prix exorbitants que les autres compagnies facturent pour fournir de l'électricité aux entreprises distributrices.

C'est pourquoi, du même coup, près de la moitié de l'argent que possède PG & E n'appartient pas à d'autres compagnies, mais seulement à National Energy Group, l'autre filiale parmi les entreprises associées. En d'autres termes, pour la moitié de sa dette elle est sa propre créancière !

Dans la même loi de dérégulation de 1996, PG & E et les autres entreprises privées ont été autorisées à ajouter une large augmentation du tarif à la facture d'électricité de chacun. Cette augmentation du tarif était censée permettre aux compagnies d'apurer les dettes des centrales afin de les rendre plus «compétitives» dans un nouveau marché dérégulé. Cette surcharge a doté PG & E de près de neuf milliards de dollars en quatre ans.

Une fois que PG & E a mis la main sur cet argent, ses dirigeants étaient libres d'en faire ce qu'ils voulaient. La première chose qu'ils ont faite a été de prendre plusieurs milliards de dollars pour racheter leurs propres actions et verser des dividendes. C'est-à-dire que les dirigeants de l'entreprise se sont ainsi assurés que les actionnaires empocheraient une bonne part de cet argent. Ils ont mis le reste de l'argent dans la nouvelle filiale, National Energy Group, qui s'est lancée dans des achats extravagants dans tout le pays. La nouvelle filiale a commencé par acheter New England Electricity System pour 1,6 milliard de dollars. Celle-ci est devenue la pierre angulaire lui permettant de devenir une des plus grandes centrales du Nord-Est. En fait, les contribuables du Massachussets alimentent couramment les centrales appartenant à PG & E par l'intermédiaire des tarifs qui servent à établir leurs factures !

Cela a conduit la vieille compagnie, PG & E, qui sert encore environ cinq millions de personnes dans le nord et le centre de la Californie, à se comporter comme si elle était fichue. Mais, on peut en être sûr, l'entreprise parente a raflé tous les secteurs les plus valables et les a vidés de leur argent !

Séparer les pertes des profits

La compagnie amie, PG & E Corporation, voulait s'assurer que les pertes, concentrées dans l'ancienne PG & E, n'allaient pas réduire les profits réalisés dans la nouvelle filiale, National Energy Group. Aussi ses dirigeants ont-ils demandé au gouvernement fédéral l'autorisation de répartir les pertes et profits entre les deux filiales. Le 12 janvier dernier, la FERC (Commission fédérale chargée de la régulation de l'énergie) a pris une décision favorable à PG & E. Elle a émis une ordonnance qui protège en effet la compagnie profitable, c'est-à-dire National Energy Group, des dettes auxquelles doit faire face la compagnie fournisseuse d'électricité, PG & E.

Une fois cela obtenu, PG & E Corporation était libre de proclamer la faillite de cette entreprise, sans avoir à s'inquiéter de mettre en danger les profits de ses autres filiales.

Bien sûr, vu le comportement des garde-fous de l'Etat, qui agissent selon les voeux de PG & E, cela risquerait de déclencher un sacré scandale. Après tout, les tarifs de l'électricité en Californie ont déjà atteint des sommets, la trésorerie d'Etat est délestée de milliards de dollars chaque mois rien que pour permettre l'alimentation en électricité. Alors qu'en même temps l'Etat doit se préparer à un été de coupures d'électricité.

Mais il se trouve qu'en plus, du fait même de la déclaration de faillite, toute cette affaire va être examinée par un juge fédéral appointé à vie, et qui de ce fait peut d'autant plus facilement prendre une décision en faveur de l'entreprise sans prendre le risque de devoir affronter des électeurs lors d'une prochaine élection, comme c'est le cas des juges aux Etats-Unis. Les politiciens de Californie, qui eux doivent tenir compte des électeurs, pourront maintenant, pour faire oublier leur décision de 1996, toujours essayer de se servir de cette faillite comme prétexte et plaider à leur tour devant une cour de justice.

La faillite de PG & E est juste une péripétie supplémentaire dans le grand scandale de l'électricité qui frappe actuellement la Californie.

Mais la Californie n'est pas seule en cause. Elle donne seulement un aperçu de ce qui, dans l'avenir, attend maintenant chaque Etat quand la dérégulation est enclenchée.

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