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- Lutte ouvrière n°1712
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Dans les entreprises
Chantiers de l'Atlantique (Saint-Nazaire - Loire-Atlantique) - Grève pour les salaires : Les jeunes donnent le ton
Avec 4 600 salariés de l'Alstom et 5 000 à 8 000 sous-traitants et intérimaires selon les moments, les Chantiers de l'Atlantique sont souvent montrés comme exemple de la reprise économique. Mais si l'embellie est bien réelle pour nos patrons, pour ce qui nous concerne, salariés Alstom et plus encore sous-traitants ou intérimaires répartis dans plusieurs centaines d'entreprises (des plus importantes aux plus minuscules), ce sont des conditions de travail parfois dignes du Moyen Age et des salaires minables. Et c'est sur les salaires qu'après une semaine de débrayages la grève a éclaté chez les travailleurs de l'Alstom.
Après plusieurs années de "modération salariale" imposée au nom du "redressement de l'entreprise" et du "coût des 35 heures", les négociations salariales d'Alstom-Marine de cette année se sont présentées sous un autre jour. D'abord parce que partout sont proclamés le prétendu miracle de la navale et les promesses de plan de réduction des coûts de production de 30 % en 3 ans ; un plan qui s'est entièrement effectué sur le dos des ouvriers avec la dégradation des conditions de travail et la multiplication des 2x8, 3x8 ou VSD, ce qui a entraîné l'aggravation des accidents de travail (2 accidents mortels l'année dernière). Enfin parce que l'arrogance et le mépris de la direction des Chantiers ont fini par exaspérer tout le monde. Le DRH a même eu le culot de déclarer publiquement : "Les ouvriers ne savent pas gérer leur budget, les jeunes veulent s'acheter une grosse voiture dès leur première paie". Et c'est sur le même registre qu'il soumettait à la signature des syndicats ce qu'il présentait comme ses ultimes propositions : 1,2 % d'augmentation générales et 1,6 % d'augmentations individuelles, c'est-à-dire des augmentations générales inférieures à l'inflation et une accentuation de l'individualisation des salaires. De même, il maintenait le double statut (650 jeunes payés sur la base 35 heures alors que les autres ont obtenu le maintien de la base 38 h 50), même si la période de rattrapage initialement prévue sur 4 ans était ramenée à 3 ans.
A l'appel de l'intersyndicale CGT-CFDT-FO, des débrayages journaliers ont donc commencé le mercredi 18 avril. La CGT revendiquait 18 % d'augmentation en s'appuyant sur un sondage effectué auprès des salariés, FO avançait 5 % et la CFDT 500 F pour tous. Ces débrayages d'une heure, en 3 équipes et même parfois secteur par secteur ont été suivis en moyenne par un millier de travailleurs et ont duré une semaine sans que le patron cède autre chose que 0,1 % basculé des augmentations individuelles aux augmentations générales. Le sentiment de tourner en rond, de perdre notre temps sous prétexte d'économiser nos forces et la crainte de voir la CFDT et FO signer un accord au rabais dans le dos des travailleurs mobilisés (comme ils l'ont déjà fait il y a 2 ans lors de la mise en place des 35 heures) devenait de plus en plus forts et alimentaient les discussions.
Mercredi 25, sans aucun mot d'ordre syndical, la grève est partie des jeunes des équipes de nuit des ateliers de production. En faisant le tour des ateliers au changement de quart, ils ont entraîné les équipes du matin qui arrivaient et la grève s'est étendue comme une tache d'huile.
Aux meetings centraux des débrayages d'une heure convoqués par la CGT, la CFDT et FO, qui n'appelaient plus à rien, ont vite rappliqué et se sont fait houspiller par les grévistes. Conspués de toute part, ces représentants syndicaux ont dû s'engager à ne rien signer sans l'accord des travailleurs en lutte.
Suite à cela, à nouveau parti de la base, le mot d'ordre "Demain, tous en grève en journée normale !" a été acclamé par l'assemblée.
Jeudi, c'est donc réunis au même moment et au même endroit que nous nous sommes retrouvés à 1 500 grévistes. Après la mise en place du déjà traditionnel blocage de l'accès principal du Chantier, les dirigeants syndicaux nous ont entraînés vers le bâtiment de la direction pour obtenir la réouverture des négociations. La réponse qui nous a été apportée étant "la direction est absente toute la matinée", l'intersyndicale nous appelait à revenir l'après-midi au même endroit. Le bruit s'étant mis à circuler que le DRH était au même moment en réunion à l'autre bout du Chantier, des groupes de jeunes ouvriers ont alors entraîné tout le monde sur le lieu de cette réunion que nous avons aussitôt envahie. Il fallait voir la tête du DRH pris au piège face aux 300 travailleurs en colère entrés dans le bâtiment et au gros millier qu'il apercevait massé sous les fenêtres ! Après les multiples espèces de noms d'oiseaux et les slogan repris en choeur : "Du pognon !", "Nos 500 F", "Patron, tu vas casquer !", une pancarte improvisée a été posée bien en évidence dans la salle : "c'est 1 000 F mini qu'il nous faut". Les uns après les autres, des jeunes se sont avancés vers le DRH pour lui rappeler à deux doigts des moustaches nos conditions de travail et de paie, pour lui proposer d'échanger avec les siennes, pour lui dire d'arrêter son baratin sur les difficultés financières du Chantier et pour exiger qu'il cède. Comme par enchantement, le DRH a accepté de reprendre plus tard les négociations salariales qu'il avait décrétées closes depuis longtemps. Après d'autres huées, il a dû accepter de les rouvrir sur-le-champ, en présence de tous. Ayant demandé le silence pour qu'elles se tiennent "sereinement", il l'a obtenu pour pouvoir s'exprimer jusqu'à ce qu'il redise que l'entreprise n'avait pas d'argent. Ce qui a relancé de plus belle nos slogans...
Il a finalement obtenu que l'on sorte de la salle pour qu'il puisse discuter avec les représentants syndicaux et nous sommes restés au pied du bâtiment pour attendre les résultats. Lorsque le DRH a cédé ce que le PDG lui avait autorisé, c'est-à-dire quasiment rien, il a déclaré ne pas avoir le pouvoir d'aller au-delà et il a obtenu une suspension des négociations.
Celles-ci ont été reprises à la direction, à nouveau assiégée par les grévistes. Comme elles trainaient en longueur, nous nous sommes dispersés en fin d'après-midi avec rendez-vous de grève le lendemain pour les résultats.
Vendredi, alors que les syndicats continuaient à appeler uniquement à un meeting à 8 h 30, la grève était maintenue. Au nom de l'intersyndicale, la CGT a fait le compte-rendu du "marathon" des négociations : 2 % d'augmentations générales et 1 % individuelles, une prime supplémentaire de 7 F/jour pour les travailleurs en équipe, un revenu minimum passé de 6 300 F à 7 100 F net pour les préretraités et l'annonce de la suppression du double statut 35 h/38 h 50. Les deux dernières annonces ont été accueillies comme une victoire par les grévistes.
Dans la foulée, la CGT (toujours au nom de l'intersyndicale) a invité à reprendre le travail sur-le-champ.
Certains sont retournés faire la grève sur le tas, d'autres qui n'avaient même pas enfilé les bleus sont restés devant l'entrée principale, et tous nous nous sommes mis à discuter et à commenter les résultats obtenus.
Même si le plus grand nombre gagne peu, le sentiment général était qu'on avait remporté une victoire face au patron, qu'il a dû céder sur ce qu'il y avait de plus révoltant : d'une part sur le double statut qui concerne 650 jeunes embauchés mais aussi 600 autres à venir dans l'année, d'autre part sur le plancher des préretraites.
L'idée, avancée par certains, qu'on aurait dû et qu'il faudrait dans l'avenir tenter d'entraîner l'ensemble des sous-traitants et intérimaires pour bloquer la totalité de la production afin d'obtenir des salaires décents pour tous fait peut-être son chemin..
Et avant de se séparer, à la veille du pont du 1er mai, rendez-vous a été pris pour le mercredi 2.
Quoi qu'il en soit, le patron - qui a pris un soin particulier pour sélectionner une nouvelle génération d'ouvriers qu'il voulait tenir dans le creux de sa main - a pris une bonne claque. Notre victoire est avant tout morale, elle permet d'en envisager d'autres.