Seul l'intérêt du monde du travail27/04/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/04/une-1711.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Seul l'intérêt du monde du travail

La manifestation de samedi dernier à Calais à l'initiative du PCF, en soutien aux travailleurs de l'usine Lu-Danone menacée de fermeture, a été un succès. Elle peut, ou plutôt elle doit, être le premier pas d'une mobilisation des salariés contre tous les autres plans de licenciements

Depuis l'annonce des licenciements à Lu, l'émotion et l'indignation ne sont donc pas retombées. Tout le monde a fait le lien avec les licenciements de Marks and Spencer puis de ceux qui ont suivi dans tous les secteurs : équipementiers auto comme Delphi, métallurgie comme Péchiney, aviation comme AOM, électroménager comme Moulinex, agro-alimentaire comme Nestlé et bien d'autres encore de la téléphonie, des banques, de la distribution ou, dernier en date, du textile comme Dim. Alors que les entreprises françaises ne se sont jamais aussi bien portées historiquement, la soif de profits est plus aiguë que jamais. Dans cette phase économique, elle se traduit non par des créations d'emplois ou d'entreprises mais au contraire par leur suppression massive. Dans la foulée des licenciements dans le monde, notamment aux USA (600 000 officiellement en un trimestre), les patrons français ont intérêt, que leurs profits soient en hausse ou en baisse, à annoncer des suppressions d'emplois pour appâter les financiers et faire plaisir aux actionnaires.

Du coup toute la classe ouvrière est menacée. Et ce ne sont pas les prétendues mesures contre les licenciements annoncées par Elisabeth Guigou ce mardi (maigre hausse des indemnités, soi-disant contrôle accru des syndicats sur les plans sociaux) qui vont empêcher les patrons de licencier.

Mises à part ces mesurettes, Jospin ne sait guère que conseiller aux grands groupes de retarder leurs annonces pour ne pas susciter une réaction d'ensemble. Cette crainte elle-même suffit à montrer la voie à suivre dans l'intérêt des travailleurs : éviter de se battre entreprise par entreprise alors qu'il s'agit d'une offensive d'ensemble contre les travailleurs ; tout tenter pour que ceux qui sont aujourd'hui sous le feu puissent entraîner tous les autres dont le tour peut venir demain ou après-demain. Or aujourd'hui, si entraîner les autres n'est certainement pas gagné, c'est loin d'être sans espoir. Témoin l'émotion ouvrière qui s'est traduite d'abord par l'accueil de l'idée du boycott contre Danone puis par ce rassemblement à Calais.

Le PCF a bien vu qu'il y avait là une occasion de prendre la tête du mécontentement et de montrer qu'il était toujours une force qui pouvait compter dans les conflits sociaux, malgré son dernier recul. Robert Hue l'a saisie en organisant la manifestation de Calais. Il entend continuer, semble-t-il, en se proposant de pousser à l'organisation d'une grande manifestation nationale contre l'ensemble des licenciements.

Certes Robert Hue n'a pas fondamentalement changé de politique. Il réaffirme la détermination du PCF à rester dans ce gouvernement qui cautionne toutes les attaques anti-sociales. Il dit crûment que le PCF ne fait qu'adopter une "nouvelle posture" (oui, pas une politique, une "posture", c'est-à-dire en bon français une simple attitude destinée à donner le change).

Bon. Nous n'en attendions pas plus de la direction du PCF qui depuis le 16 octobre 1999 s'efforce désespérément de garder "un pied au gouvernement et un autre dans le mouvement populaire". Mais l'intérêt des travailleurs est de le prendre au mot quand il reprend la proposition "d'interdiction des licenciements", qui était déjà avancée dans le plan d'urgence d'Arlette Laguiller il y a sept ans, ou encore qu'il dit vouloir organiser un grand rassemblement national dans les semaines qui viennent.

Dans cette situation l'extrême gauche, et d'abord Lutte ouvrière, a un rôle à jouer. En répondant, bien sûr, aux propositions du PCF, comme LO ou la LCR l'ont fait à Calais. Mais pas seulement. En développant aussi de son côté une politique offensive, en n'attendant pas seulement les propositions du PCF ou d'autres, mais en en faisant elle-même.

Interdire les licenciements nécessite sans aucun doute une mobilisation d'ensemble et probablement de longue durée. Il faut convaincre de cet objectif les travailleurs sceptiques devant des décennies d'échecs et surtout bombardés actuellement par une campagne gouvernementale et patronale destinée à les convaincre qu'il est totalement utopique. Il faut imposer un plan de mobilisation qui dessine des perspectives et une suite, car même une grande manifestation nationale à Paris réussie serait au mieux un baroud d'honneur si elle reste sans lendemain. C'est cet objectif et l'organisation de cette mobilisation que l'extrême gauche doit publiquement, obstinément, à tous les niveaux, proposer aux organisations syndicales, politiques ou associatives qui se disent aujourd'hui soucieuses de la défense des intérêts des salariés.

Pas gagné ? Certes. Chacune de ces organisations, loin de s'axer sur les intérêts du monde du travail, peut choisir de regarder le monde depuis ses intérêts de boutique. Le PCF peut très bien encore une fois, après avoir fait une démonstration, lâcher la lutte. La CGT, qui s'est plutôt tenue à l'écart, peut y rester. Les autres confédérations demeurer sourdes. C'est pourtant la seule voie qui corresponde aux intérêts du prolétariat. Quelles raisons peut bien avoir l'extrême gauche d'hésiter à mettre son poids politique, qui ces derniers temps s'est légèrement accru, au service de la défense des intérêts du monde du travail et sur le terrain de la lutte de classe ?

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