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Il y a 40 ans - Cuba : Le débarquement de la baie des cochons
A l'aube du 17 avril 1961, une petite flotte comprenant un navire appartenant à la CIA, deux destroyers de la marine américaine et quelques cargos affrétés pour l'opération débarquaient sur la playa Giron, dans la baie des Cochons à Cuba, plus de 1 500 combattants équipés de fusils, de mitrailleuses, mortiers, lance-roquettes, lance-flammes, etc. A ces hommes venaient bientôt s'ajouter 177 parachutistes largués d'avion. La troupe devait recevoir le soutien de plusieurs avions, ainsi que de cinq tanks et de plusieurs camions et engins divers se trouvant à bord des bateaux qui attendaient au large. Son but : prendre pied sur l'île de Cuba, dirigée alors depuis un peu plus de deux ans par Fidel Castro, créer une "zone libérée" et soulever le peuple cubain contre le nouveau régime.
Mais, en quelques heures, l'opération échouait : deux navires de ravitaillement étaient coulés par l'aviation cubaine et les deux destroyers qui accompagnaient la flottille quittaient les lieux du débarquement. Trois jours plus tard, après des combats qui avaient fait plusieurs centaines de morts des deux côtés, près de 1 200 combattants étaient faits prisonniers par les miliciens venus en masse de toutes les régions du pays défendre le régime de Castro.
La crise entre Cuba et les USA
Cette opération avait été organisée de bout en bout par les Etats-Unis. Les troupes d'invasion étaient bien constituées d'exilés cubains, souvent des soldats de l'ancienne armée du dictateur Batista, que Castro avait démantelée après son arrivée au pouvoir et dont beaucoup s'étaient réfugiés aux Etats-Unis. Mais ils avaient été entraînés par les Américains au Guatemala, d'où ils avaient été transportés par la CIA au Nicaragua, où enfin ils avaient embarqué sur des bateaux venus de la Nouvelle-Orléans.
En fait, depuis que Castro était arrivé au pouvoir en janvier 1959, le gouvernement américain, avec à sa tête le général Eisenhower, était hostile à Cuba, ne pardonnant pas à Castro d'avoir pris la tête du soulèvement populaire qui avait renversé un régime suppôt de l'impérialisme américain. Le régime de Castro n'était pas à la botte des USA et constituait de ce simple fait un exemple, en particulier pour les peuples d'Amérique latine, exemple que les USA jugeraient contraire à leurs intérêts. Ils s'évertuèrent dès lors à faire plier Castro.
Après la reconnaissance par les Américains de son régime, Castro avait entrepris de faire des réformes. Il avait d'abord rencontré l'hostilité de la bourgeoisie de l'île, qui avait émigré massivement, puis celle des entreprises américaines installées à Cuba. Pour tenter d'arranger les relations avec les Etats-Unis, Castro se rendit à Washington où il rencontra le vice-président Nixon. Castro souhaitait apaiser les Américains, leur exprimer sa bonne volonté. Il déclara alors vouloir "établir à Cuba une véritable démocratie, sans aucune trace de fascisme, péronisme et communisme". La réforme agraire qu'il proposait était très modérée et s'apparentait à des réformes libérales encouragées ailleurs par les Américains - par exemple dans le Japon d'après-guerre. Il s'agissait d'exproprier, contre de substantielles indemnités, certains grands propriétaires (américains notamment) et de favoriser la création de coopératives paysannes.
Mais ce plan déplut à Nixon, qui prétendit voir en Castro un dangereux communiste. Une vaste campagne anti-réforme agraire se développa aux Etats-Unis, les cotations des compagnies sucrières s'effondrant à la Bourse de New York. Les Etats-Unis menacèrent de réduire leur quota sucrier, c'est-à-dire la quantité de sucre qu'ils s'étaient engagés à acheter à un prix supérieur à celui du marché. Mais Castro ne céda pas. Pour répondre aux pressions américaines, aux menaces d'étranglement économique, au début de 1960 il se tourna vers l'URSS. Un accord économique fut signé : la Russie s'engagea à acheter du sucre à Cuba et à lui livrer du pétrole et des produits de base.
Le plan de la CIA... et son échec
En mars 1960, Eisenhower accepta le plan de la CIA d'armer et d'entraîner des exilés cubains. En un an, le budget de la section de la CIA chargée de l'opération passa de 4 à 50 millions de dollars. Elle finança diverses organisations d'émigrés aux Etats-Unis, des radios émettant à destination de Cuba, organisa des lâchers de tracts au-dessus de l'île. Elle finit surtout par s'intoxiquer elle-même, en se convainquant d'une impopularité du régime qui n'existait que dans sa propagande.
En avril 1960, avec l'arrivée à Cuba du premier tanker de pétrole soviétique, la tension monta d'un cran. Les Etats-Unis suspendirent toute aide américaine au pays. Des compagnies américaines de l'île annoncèrent qu'elles allaient refuser de raffiner le pétrole soviétique : Castro réagit en saisissant les raffineries. Eisenhower mit la menace de suspendre le "quota" à exécution : Castro réagit en nationalisant une partie des biens américains de l'île (compagnies de téléphone et d'électricité, sucreries) pour une valeur de plusieurs centaines de millions de dollars. En octobre, les USA déclarèrent un embargo, toujours en vigueur aujourd'hui, sur la presque-totalité des exportations américaines : Cuba saisit de nouvelles usines. Castro avait engagé la lutte au nom de la démocratie et d'une certaine justice sociale, au fond ni plus ni moins que tant d'autres dirigeants du Tiers Monde, d'Amérique latine en particulier. Mais, à la différence de la plupart d'entre eux, il choisit de tenir bon dès que les pressions de l'impérialisme américain se firent sentir. Et c'est ainsi que, poussé par la logique des circonstances, le régime cubain finit par se retrouver à la tête d'une économie presque entièrement nationalisée.
Aux Etats-Unis, on parlait de plus en plus d'une invasion prochaine de Cuba, présenté comme un îlot de communisme aux portes de l'Amérique. Dans les élections de novembre 1960, la question de Cuba joua un rôle clé. Les deux candidats, Richard Nixon et John Kennedy, rivalisèrent pour affirmer la nécessité de faire plier Castro et de défendre les intérêts américains partout où ils étaient menacés. Pour se distinguer, le démocrate Kennedy reprocha aux républicains leur mollesse face au "péril communiste".
Kennedy l'emporta finalement avec à peine 100 000 voix d'avance. Dans la foulée, les Etats-Unis rompirent les relations diplomatiques avec Cuba qui venait d'expulser des diplomates américains accusés d'espionnage.
A l'arrivée de Kennedy au pouvoir, Castro tenta de désamorcer la situation. Il fit un geste de bonne volonté et démobilisa la milice. Mais les Etats-Unis maintinrent leur pression. Et le débarquement se fit avec la pleine et entière approbation du nouveau président (malgré les "hésitations" de certains de ses conseillers), après une "préparation" aérienne qui, quelques jours plus tôt, avait détruit au sol la moitié de l'aviation cubaine qui comptait une douzaine d'appareils.
La CIA avait réussi à se convaincre, et à convaincre Kennedy, que le régime de Castro était usé. Mais ce dernier, après avoir lancé un appel à tout le pays pour une "lutte à mort" contre l'ennemi, réagit sur deux fronts. Il fit appel à l'armée et à la police pour faire la chasse aux opposants de l'intérieur (environ 100 000 personnes furent arrêtées en deux jours) et appela en même temps les miliciens à venir en masse de toutes les régions du pays pour repousser les assaillants. Ce fut un succès total, malgré les maigres moyens de ses troupes, dont les estafettes circulaient parfois à bicyclette.
Ce débarquement provoqua évidemment l'effet contraire de celui souhaité par les Américains. Il poussa durablement Castro dans les bras de l'URSS qui n'allait pas tarder à se servir de Cuba comme d'un pion dans le cadre de la "guerre froide" qui l'opposait aux Américains, comme on le vit lors de l'affaire des missiles soviétiques. Mais surtout, il prouvait la popularité du régime de Castro et montrait qu'il ne serait pas possible de le déloger sans une guerre coûteuse et difficile contre tout un peuple. Et quarante ans après, malgré toutes les pressions, le régime de Castro est toujours là.