Les communes dans les filets des trusts de l'eau20/04/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/04/une-1710.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Les communes dans les filets des trusts de l'eau

Un modèle de contrat entre les communes et les gestionnaires du service de l'eau a été élaboré par une association de maires de France (AMF). Ce projet, au dé part, avait pour objectif de limiter l'emprise des géants de l'eau. Fina lement, le document auquel on a abouti leur est au contraire favorable.

Cela montre à quel point Vivendi, La Lyon naise et Bouygues en prennent à leur aise avec l'argent public qui leur est versé par les communes.

Pour distribuer l'eau potable et assainir les eaux usées, la plupart de celles-ci ont signé un contrat avec Vivendi (ex-Générale des Eaux), Ondéo (nouveau nom de la Lyonnaise des Eaux) ou la SAUR, liée à Bouygues. Les trois trusts de l'eau, en théorie en concurrence, sont regroupés au sein d'un syndicat patronal, le Syndicat professionnel des entreprises d'eau et d'assainissement (SPDE). Les bénéfices des trois grosses sociétés servent à rémunérer grassement les actionnaires, et accessoirement à fournir les coquets émoluments des PDG (27 millions de francs en 1999 pour celui de Vivendi). Ils ont également servi à procurer des subsides à quelques maires de villes importantes. Une fois payé tout cela, il reste des sommes considérables que Vivendi et compagnie utilisent dans le monde entier pour investir d'autres secteurs, les télécom et l'information en particulier. Et ce sont les consommateurs qui payent la facture, par l'intermédiaire, entre autres, de leurs impôts locaux, de plus en plus lourds.

Des contrats abusifs

Il y a cinq ans environ, les augmentations à répétition du prix de l'eau, plus fortes qu'à l'accoutumée, avaient provoqué des remous. Nombre de maires ne voulaient pas être assimilés, aux yeux de la population, à leurs collègues arrosés par les distributeurs d'eau. Deux associations d'élus s'étaient alors senties obligées de faire quelque chose et avaient créé un petit cabinet de juristes et de techniciens pour aider les communes à examiner leurs contrats et leurs factures d'eau, car même des villes moyennes disposant de services techniques et d'une équipe de comptables n'arrivaient pas à s'y retrouver.

Il faut dire que la législation vole au secours des géants de l'eau, s'ils en avaient besoin. Une loi de 1995 (loi Mazeaud) avait affirmé que, chaque année, l'entreprise doit rendre un rapport à la commune sur sa gestion de l'eau. Seulement, même cela ne s'applique pas vraiment car il aurait fallu un décret pour préciser les règles comptables précises que l'entreprise doit suivre. Or les gouvernements se sont succédé sans que ce décret paraisse. Les trois sociétés qui se partagent le magot sont donc à l'aise pour facturer aux communes un peu n'importe quoi.

Par exemple, Vivendi ou autres prévoient le risque d'avoir à remplacer des pompes et facturent ce risque à la commune. Les sommes en question, baptisées provisions pour le renouvellement, représentent des dizaines de milliards de francs, et les remplacements d'équipements facturés mais non effectués, des milliards à l'échelle du pays.

La qualité de l'eau n'est pas plus facile à vérifier que la réalité des prestations. Selon le témoignage d'un ancien maire, dans sa commune La Lyonnaise gérait l'eau ; le cabinet chargé de sa qualité en était sa propriété ; celui chargé du contrôle aussi.

Un point particulièrement obscur dans la gestion par les trusts de l'eau se trouve dans les charges communes à plusieurs contrats locaux, qui dépassent souvent la moitié des frais d'exploitation des réseaux d'eau et d'assainissement, sans que les conseils municipaux puissent vérifier à quoi cela correspond.

Le contrôle... placé sous contrôle

Dans ces conditions, le cabinet spécialisé mis en place par les deux associations d'élus avait de quoi faire depuis sa création en 1996. Certains maires purent se féliciter auprès de leurs électeurs d'avoir obtenu une révision à la baisse des factures d'eau. Mais c'en était déjà trop du point de vue de ceux qui avaient pris l'habitude d'avoir les communes à leurs bottes. Selon le Canard enchaîné, un ancien PDG de La Lyonnaise, Jérôme Monod, devenu conseiller particulier de Chirac, serait intervenu auprès de l'Association des maires de France, présidée par un maire RPR, pour que le service d'assistance proposé par cette association soit mis sous tutelle. Le fait est que l'équipe de ce service d'assistance a été renouvelée, la plupart des comptables et des techniciens ayant démissionné ou ayant été licenciés, sans que les maires, de droite et de gauche, qui siègent à la direction de cette association ne disent rien.

Quant au modèle de cahier des charges, sorte de contrat-type censé fixer des bornes au pouvoir des sociétés de l'eau, il a été rédigé par l'Association des maires en concertation avec le syndicat patronal, pour ne pas dire sous sa dictée. Ainsi, les formules de révision de prix, imprécises, ouvrent la porte à de fréquentes majorations. Ainsi encore, au lieu de supprimer le dépôt de garantie versé par chaque abonné, il est question de faire payer une somme plus importante et non récupérable.

De plus, ce document, s'il est pris pour modèle, limitera encore la marge de manoeuvre des communes. Si un conseil municipal, se souvenant qu'il a été élu par la population, et non pas par Vivendi, La Lyonnaise des Eaux ou Bouygues, voulait interrompre le contrat sur la gestion de l'eau avant son échéance, la commune risquerait d'avoir à payer une grosse indemnité de rupture. En effet, à la demande du syndicat patronal, aucun plafond n'a été fixé à cette indemnité dans le cahier des charges type. C'est une pression de plus sur les maires qui voudraient desserrer l'étau. Et si la population, qui n'a aucun intérêt commun avec ceux des actionnaires de Vivendi, La Lyonnaise ou Bouygues, s'en mêlait directement, cela commencerait à inquiéter vraiment ces féodaux de l'eau. Car l'intervention de la population serait bien plus efficace que des cabinets d'experts, impuissants devant les lobbies.

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