Marks et Spencer, requin du commerce de détail13/04/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/04/une-1709.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Marks et Spencer, requin du commerce de détail

En même temps que les salariés des magasins européens de Marks et Spencer apprenaient leur licenciement imminent, ils apprenaient également que le groupe s'apprêtait à reverser l'équivalent de vingt milliards de francs à ses actionnaires en mars prochain. Quant au PDG licencieur, Luc Vandevelde, cet ancien PDG de Promodès passé à Marks et Spencer pour ne pas être relégué au rang de numéro deux après la fusion de Promodès avec Carrefour, il s'apprête à toucher une prime contractuelle de 6,6 millions de francs pour ses loyaux services de coupeur de têtes.

Pour scandaleux que soient ces faits, ils ne sont pas pour étonner grand-monde en Grande-Bretagne où Marks et Spencer a gagné le sobriquet de Marks et Sharks (" shark " signifiant requin en anglais).

Ce groupe ultra-conservateur, dont la création remonte à 1894, est la première chaîne de grands magasins de vêtements du pays, avec 297 magasins. Il est aussi, avec les magasins John Lewis et les fast-food Mc Donald's, l'un des trois groupes de Grande-Bretagne de plus de 25 000 salariés où les syndicats n'ont jamais été tolérés (même s'il a dû parfois le faire dans le reste du monde du fait de la législation locale). Ses principaux actionnaires comptent, entre autres, de grandes banques d'affaires comme l'anglais Cazenove et l'américaine JP Morgan, des holdings financières comme Brandes Investment Partners et Franklin Resources et... l'Église Anglicane.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, Marks et Spencer avait bâti son image et sa politique commerciale sur le slogan " Achetez anglais " en visant la clientèle petite-bourgeoise. Il avait constitué autour de lui une galaxie d'usines textiles de moyenne importance qui toutes produisaient exclusivement pour sa marque-maison, St-Michael.

Seulement les goûts de la fraction la mieux lotie de la petite bourgeoisie ont fini par changer, réclamant plus de variété et d'exotisme, tandis que le reste de la clientèle ne pouvait plus guère se payer les vêtements relativement chers de Marks et Spencer dans un contexte où le pouvoir d'achat moyen diminuait.

Du coup, à partir de 1999, Marks et Spencer a négocié un tournant brutal à 180°. D'un côté en profitant de la dérèglementation des marchés financiers il s'est lancé dans la commercialisation d'assurances, plans de pension et autres cartes de crédits dans ses magasins (ce qui repésentait l'an dernier 20 % de ses bénéfices). D'autre part il a annulé sans préavis une grande partie des contrats avec ses fournisseurs britanniques. Du coup, on estime que 40 000 emplois ont disparu dans l'industrie textile britannique en 1999-2000, soit 12 % des emplois de ce secteur. En même temps, près de 10 % des magasins britanniques étaient fermés, plus une dizaine transformés en franchises, ce qui s'est traduit pour les salariés qui n'ont pas été licenciés par une aggravation de leurs conditions d'emploi et de salaire.

Aujourd'hui, la stabilité de l'emploi chez Marks et Spencer en Grande-Bretagne masque le fait que l'ouverture de nouveaux magasins est venue compenser dans les chiffres totaux les licenciements en cours à son siège et ceux, annoncés depuis longtemps, dans son département de vente par correspondance. Mais d'ores et déjà le groupe a d'autres plans. Tout en vendant ses deux filiales américaines, la direction du groupe compte profiter des ressources dégagées par la vente des sites des magasins fermés pour étendre la toile d'araignée de ses magasins en franchise qui couvre déjà plus de 30 pays dans le monde, en particulier dans le sud-est asiatique. Là au moins, ce sont d'autres qui prendront les risques et la maison-mère n'aura plus qu'à encaisser les bénéfices. Quant aux ouvriers, dorénavant Israéliens, Vietnamiens ou Thaïlandais, qui se tueront au travail à fabriquer les vêtements " anglais traditionnels " de Marks et Spencer, ils risqueront moins de faire des vagues lorsque l'avidité de profit des actionnaires nécessitera de trouver des fournisseurs encore meilleur marché.

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