- Accueil
- Lutte ouvrière n°1707
- Russie : Un an de Poutine à la présidence
Dans le monde
Russie : Un an de Poutine à la présidence
C'est le 26 mars 2000, trois mois après qu'Eltsine l'avait intronisé comme dauphin, que Poutine a été élu président de la Fédération de Russie.
Poutine se présentait comme voulant rétablir l'ordre et l'Etat, ce qui tranchait sur un Eltsine malade, politiquement affaibli et notoirement corrompu. En lançant la seconde guerre de Tchétchénie peu auparavant en tant que Premier ministre, Poutine voulait se donner une stature d'homme d'Etat à poigne en même temps que lancer un avertissement à ceux qui auraient menacé son pouvoir : il ne tolérerait plus que l'Etat continue à être soumis aux forces séparatistes dont, depuis plus de dix ans, les chefs des régions se servent pour affaiblir le pouvoir central.
Les résultats de cette guerre contre la Tchétchénie, on les connaît. Des dizaines de milliers de civils ont été massacrés ; Grozny, la capitale, a été rasée ; la population a fui en masse dans les républiques voisines et, après avoir été écrasés sous les bombes, les deux tiers de la Tchétchénie seraient désormais tenus par des troupes d'occupation russes. Du moins est-ce la version du Kremlin, car les indépendantistes, réfugiés dans des montagnes où l'armée russe ne s'aventure pas, ont encore la force de s'en prendre à elle, y compris dans son quartier général de Grozny. Ou encore de perpétrer des attentats meurtriers en Russie même ces jours-ci, pour "fêter" à leur façon un an de présidence de Poutine. Pour autant, du moins, que ces attentats ne soient pas - cela n'étonnerait personne - une provocation policière de la FSB, cet ex-KGB que dirigeait Poutine il y a peu encore.
Autorité limitée...
Depuis un an, ce sont souvent des hommes de l'ex-KGB que Poutine a poussés vers les rouages du pouvoir. Moins d'ailleurs pour en déloger ceux qui les tenaient, et qui représentent d'autres clans du pouvoir, que pour tenter de constituer son propre clan et, à travers lui, de contrôler les autres. Au vu de la cacophonie qui règne au gouvernement, où tous ces clans sont représentés, la partie est loin d'être gagnée pour Poutine. Quant aux sept super-préfets qu'il a choisis pour chapeauter, dans tout le pays, les gouverneurs des régions et présidents des républiques fédérées qui, quand ils en ont les moyens, affichent leur indépendance à l'égard de Moscou, le résultat n'est guère plus probant. Lors des récentes élections de gouverneurs et présidents locaux, les candidats de Poutine n'ont pas réussi à s'imposer. Et moins encore à imposer le pouvoir de Poutine aux mafias politico-affairistes qui contrôlent et mettent en coupe réglée les régions et dont ces gouverneurs sont les parrains. A quoi servirait donc à Poutine, dans ces conditions, la loi qu'il a fait adopter dès son élection et qui lui permet de déposer les gouverneurs ?
Bien sûr, Poutine n'a pas essuyé que des échecs. Il a plus ou moins muselé la presse et, au passage, affaibli la position de deux "oligarques" (des chefs de clan politico-affairistes), Berezovski et Goussinski qui, ayant prospéré dans l'ombre d'Eltsine, contrôlaient certains médias en s'en servant contre Poutine. Mais s'il est désormais moins question des autres oligarques, ce n'est ni qu'ils aient disparu, ni qu'ils se soient ralliés à Poutine. C'est qu'une presse aux ordres a désormais moins l'occasion d'en parler, car Poutine, lui, s'est bien gardé de les prendre de front. Quant à les mettre au pas, comme il l'avait promis, cela reste hors de ses possibilités.
On en a eu la preuve a contrario quand les autorités policières russes ont récemment reconnu que la fuite des capitaux et la corruption (dont ces oligarques sont les champions, même s'ils ne sont pas les seuls, loin de là) continue de coûter l'équivalent de 35 milliards de dollars (260 milliards de francs) par an au pays. Autant que sous Eltsine et pour la même raison fondamentale : la faiblesse du pouvoir central.
... et finances problématiques
A son actif, Poutine cite la rentrée des impôts, plus importante cette année que prévu : ce n'est pas difficile, d'habitude ils ne rentrent pas. Et ce "mieux" tient non pas à une meilleure efficacité du fisc, qui se laisserait moins corrompre par les affairistes qui échappent ainsi à l'impôt, mais à la flambée des cours mondiaux du pétrole et du gaz, dont la Russie est l'un des principaux producteurs mondiaux. Or, même si les firmes russes exportatrices ne rapatrient qu'une infime partie (le reste, elles le détournent) de ce qu'elles gagnent ainsi, cela gonfle évidemment (un peu) les recettes budgétaires russes, puisque 30 % de celles-ci dépendent du gaz et du pétrole.
Mais même à supposer que ne survienne pas bientôt une plongée, toujours possible, des cours mondiaux des hydrocarbures, le budget de l'Etat russe reste fort mal en point. Après le krach financier de l'été 1998, les créditeurs occidentaux ont accordé un délai de paiement à la Russie. Mais ils recommencent à lui présenter la note, arriérés compris. Les organismes bancaires internationaux ont annoncé que la Russie devrait leur verser 18 milliards de dollars en 2003. Mais où les trouvera-t-elle, quand le budget fédéral n'est que de 40 milliards de dollars et que le pillage du pays est mené tambour battant par ceux qui le dirigent ?
Quant aux "réformes de marché", en clair des avancées tangibles vers le rétablissement du capitalisme, dont les dirigeants occidentaux ont, un temps, affecté de croire que Poutine pourrait les lancer, ceux-ci n'ont pas tardé à déchanter. Tirant un bilan depuis son élection, un quotidien d'affaires, La Tribune, titrait : "Poutine peine devant les réformes économiques", notant que, "au-delà de ses déclarations sur la restauration de l'Etat fort", on ne voit guère où il veut en venir tandis que "les réformes patinent" : les privatisations sont au point mort depuis des années, la privatisation de la terre est remise à plus tard, la codification du droit de la propriété reste en plan.
Mais comme Poutine a réussi à mettre au pas les organes de presse russes, au moins de ce côté-là il ne risque pas, pour le moment, de voir rappeler publiquement que, depuis son arrivée au Kremlin, la situation n'a guère évolué par rapport à ce qu'elle était du temps de son prédécesseur.