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- Lutte ouvrière n°1706
- Lire : La grève des bàttu, de Aminata Sow Fall - Editions "Le Serpent à Plumes" - collection Motifs - 168 pages - 42 francs.
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Lire : La grève des bàttu, de Aminata Sow Fall - Editions "Le Serpent à Plumes" - collection Motifs - 168 pages - 42 francs.
"Ce matin le journal en a encore parlé ; ces mendiants, ces talibés, ces lépreux, ces diminués physiques, ces loques, constituent des encombrements humains. Il faut débarrasser la Ville de ces hommes - ombres d'hommes plutôt - déchets humains, qui vous assaillent et vous agressent partout et n'importe quand". Ainsi commence le roman de la romancière sénégalaise Aminata Sow Fall qui vient d'être réédité.
Le gouvernement a en effet décidé de développer le tourisme et ces "bàttu", ces mendiants, déparent la ville (Dakar, vraisemblablement, mais elle n'est pas citée). Le directeur du Service de la salubrité publique, Mour Ndiaye, charge donc son adjoint de nettoyer la ville. Si cela réussit, Mour Ndiaye a de fortes chances d'obtenir le poste de vice-président de la République qui doit être créé prochainement.
L'adjoint, jeune bureaucrate efficace, prend sa mission à coeur et les forces de police traquent les mendiants avec brutalité. Ceux-ci, alors réfugiés dans une maison hors de la ville, décident de faire grève.
Or, leur présence est indispensable pour qui veut pratiquer ses devoirs religieux : en échange des dons qu'ils reçoivent, ils accordent leur bénédiction et tout homme qui veut réussir dans la société doit leur faire des aumônes. Cette grève des mendiants perturbe donc nombre d'habitants, forcés de faire des kilomètres sur des routes non goudronnées pour donner leur obole.
Les choses se compliquent pour Mour Ndiaye quand le marabout lui prédit qu'il deviendra vice-président dans la semaine, s'il distribue soixante-dix-sept morceaux de viande provenant d'un taureau sacrifié, à des mendiants répartis aux quatre coins de la ville. Comment obtenir qu'ils cessent leur grève et réintégrent leurs anciens territoires, ne serait-ce que pour une demi-journée, afin que Mour Ndiaye puisse accéder au poste qu'il convoite ?
Ce roman est une critique pleine d'ironie des dirigeants du Sénégal après l'indépendance de ce pays : des arrivistes qui méprisent leur peuple et ne pensent qu'à s'enrichir. Ils singent les modes de vie des anciens colonisateurs mais n'arrivent pas à se départir de leurs superstitions religieuses et sont perdus sans les conseils des marabouts.
L'auteur s'en prend aussi à la condition faite aux femmes africaines : lorsqu'après vingt-quatre ans de vie commune, Mour Ndiaye décide de prendre une seconde épouse, sa femme est désemparée mais continue à lui être soumise ; en revanche, sa fille affiche ouvertement le mépris dans lequel elle tient son père et décide qu'elle seule sera maîtresse de sa vie.
Mais les principaux héros de ce livre sont bien évidemment les "bàttu", qui, grâce à leur cohésion et à leur dignité, donnent une leçon aux arrivistes et aux nouveaux riches de tout poil qui règnent, au Sénégal comme dans bien d'autres pays d'Afrique.