Il y a 45 ans, le 12 mars 1956, Le gouvernement socialiste intensifiait la guerre en Algérie : Le vote des pouvoirs spéciaux23/03/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/03/une-1706.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

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Il y a 45 ans, le 12 mars 1956, Le gouvernement socialiste intensifiait la guerre en Algérie : Le vote des pouvoirs spéciaux

Le 12 mars 1956, un gouvernement dirigé par un socialiste, Guy Mollet, se faisait voter par le Parlement une loi dite "des pouvoirs spéciaux". Tous les députés de droite et de gauche la votèrent, y compris ceux du Parti Communiste. Seuls manquèrent à cette unanimité les députés poujadistes (extrême droite), qui la trouvèrent trop modérée et insuffisante. Cette loi donnait entre autres au gouvernement français "les pouvoirs les plus étendus pour prendre toutes les mesures exceptionnelles commandées par les circonstances en vue du rétablissement de l'ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire".

Depuis les derniers mois de 1954, la France était confrontée à une insurrection anticoloniale en Algérie, alors que les pays voisins, la Tunisie et le Maroc, étaient secoués eux aussi par des manifestations et des émeutes populaires exigeant l'indépendance, comme l'avaient arrachée les Vietnamiens après sept années d'une guerre totale. L'opinion et surtout la classe ouvrière étaient lasses de ces guerres et de ces expéditions coloniales qui coûtaient fort cher alors qu'en 1956, le niveau de vie des travailleurs était encore inférieur à ce qu'il était en 1938. Et surtout la population et d'abord la jeunesse étaient hostiles à l'envoi des jeunes appelés du contingent en Afrique du Nord comme les gouvernements d'Edgar Faure et de Mendès-France avaient commencé à le faire dès 1955, allant même jusqu'à rappeler certains "disponibles". Il s'agissait des jeunes qui avaient accompli leur service militaire, qui avaient donc rejoint leurs foyers et que l'Etat rappelait pour faire "du rab", en Algérie, comme la loi le permettait.

D'un vote pour la paix...

Pour faire face à cette situation, le chef du gouvernement en place, mis en minorité en novembre 1955 par les députés, demanda la dissolution de l'Assemblée nationale, provoquant de nouvelles élections. Une coalition de tous les partis de gauche non communistes, qui se baptisa Front Républicain, se constitua avec à sa tête le dirigeant du Parti Socialiste Guy Mollet, le radical Mendès-France et François Mitterrand, flanqués du gaulliste Chaban-Delmas.

L'essentiel de la campagne électorale tourna autour du "problème algérien", le Front Républicain préconisant une politique de paix en Algérie. Guy Mollet déclarait qu'il fallait "en finir avec une guerre imbécile". Le Parti Communiste, de son côté, faisait campagne pour la paix en Algérie, assurant par avance le Front Républicain de tout son soutien et s'évertuant à s'y faire admettre dans l'espoir de revenir aux affaires, comme il ne cessait de le dire depuis 1947. Pour les politiciens bourgeois qui menaient le Front Républicain, il n'en était pas question. Pour eux, selon les expressions du socialiste Guy Mollet, le PCF "n'était pas à gauche mais à l'Est", autrement dit il était un "parti nationaliste étranger". Il leur suffisait que le PC les soutienne, soit patient et sage, et qu'il incite la classe ouvrière à la modération.

Le 2 janvier 1956, les électeurs envoyèrent 150 députés du Front Républicain et 150 députés du Parti Communiste à la Chambre sur 400 députés au total. Neuf millions de voix s'étaient portées vers le PS et le PC, qui explicitement parlaient de paix en Algérie. Le dirigeant du Parti Socialiste, Guy Mollet, fut chargé de former le nouveau gouvernement. Mendès-France y fut ministre d'Etat et Mitterrand ministre de la Justice. Le PCF restait exclu de toute majorité parlementaire sans que cela refroidisse son soutien.

...À l'intensification de la répression

Le 6 février, de violentes manifestations mollement contenues par la police éclatèrent à Alger à l'occasion de la visite du nouveau chef du gouvernement. C'était une situation rêvée, peut-être même organisée par le nouveau gouvernement "de gauche", pour faire pression sur l'opinion de la métropole et demander des "pouvoirs spéciaux" au Parlement afin d'être en mesure de mener la "politique de fermeté exigée par la situation". Guy Mollet affirma du coup "la permanence des liens politiques, économiques et culturels particuliers entre la France et l'Algérie", pour bien montrer qu'il n'avait nullement l'intention de s'acheminer vers l'indépendance de l'Algérie. A l'intention des Algériens il précisait : "Vous devez tenir compte des biens légitimes que la France possède en Algérie". Pour ce faire "les jeunes de France doivent s'attendre à partir chaque jour plus nombreux", dit-il, et Le Figaro chiffrait ce programme : "Il faut envoyer 400 000 hommes", "procéder à la levée de 200 000 hommes supplémentaires". Tout cela avait un coût et le même quotidien offrait la solution au gouvernement : "Il peut être nécessaire de demander un effort supplémentaire à nos ouvriers" ! Dès le mois d'avril, 24 000 jeunes étaient rappelés sous les drapeaux.

La guerre, la répression s'intensifièrent en Algérie ; des camps de regroupement furent ouverts pour parquer les villageois. L'emploi de la torture et les exécutions sommaires se généralisèrent. Condamnés hâtivement, mille condamnés à mort algériens croupirent dans les prisons. En France même, les travailleurs algériens furent soumis à un contrôle policier permanent et humiliant. La liberté de la presse fut bafouée. Des journalistes hostiles à la guerre d'Algérie furent inquiétés, mis en garde à vue, leur domicile perquisitionné. Des journaux d'extrême gauche furent saisis. Cette politique de répression menée par un gouvernement de gauche, qui se servait de son image pour mener une politique de droite que la droite n'aurait peut-être pas réussi à mener sans réaction de la part de la population laborieuse, avait bénéficié de l'appui des députés du PCF, qui avaient voté les pouvoirs spéciaux à Guy Mollet et à son gouvernement. Ils expliquèrent plus tard que l'essentiel pour eux était de réaliser l'unité de la gauche. Un refrain connu, et mille fois répété, encore aujourd'hui. Ils se justifièrent, par la suite, disant que Guy Mollet avait trahi ses engagements. Comme si un tel retournement des dirigeants socialistes était imprévisible ! Comme s'ils n'avaient pas de lourds antécédents en matière de répression coloniale !

Cette politique désorienta nombre de militants, de femmes et d'hommes de gauche, mais aussi ceux qui, tout simplement, étaient opposés à cette guerre injuste qui ne disait pas son nom. Elle aboutit à isoler ceux qui entendaient s'opposer à cette sale guerre, en premier lieu les jeunes rappelés qui manifestèrent dans les gares, dans les casernes, refusant pendant des heures de monter dans les trains ou dans les camions. Mais elle ne désarma ni la droite ni l'extrême droite. Bien au contraire, elles s'enhardirent, complotèrent, créant deux ans plus tard les conditions du retour aux affaires de De Gaulle, que Guy Mollet alla quérir en personne à Colombey.

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