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Leur société
Réfugiés kurdes d'Irak : Dans le maquis du droit d'asile
Une semaine après que le gouvernement eut autorisé les 908 réfugiés kurdes, arrivés par bateau sur la côte varoise, à quitter le camp de Fréjus où ils avaient été initialement retenus, les deux tiers d'entre eux auraient quitté ce centre d'accueil, pour tenter leur chance en direction de l'Allemagne, principalement. Cela a eu l'air de surprendre le préfet du Var, qui a déclaré avoir fait de son mieux pour les accueillir. Mais la méfiance des réfugiés kurdes vis-à-vis des autorités françaises est facile à comprendre. Au fil de ces dernières années, le droit d'asile en France a réduit comme une peau de chagrin.
La décision du gouvernement de leur accorder un sauf-conduit (de... huit jours) était d'abord une réponse à l'émotion suscitée dans la population par l'arrivée de ces réfugiés dans des conditions pour le moins indignes, puisque, selon un sondage paru dans la presse, huit personnes interrogées sur dix estimaient normal que ces réfugiés soient accueillis dans de bonnes conditions.
Mais le gouvernement entend toujours gérer leur sort au "cas par cas", ce qui suggère qu'il pourrait en expulser certains. On a eu un aperçu des conséquences possibles avec le cas d'un couple de Palestiniens présents parmi ces réfugiés : le tribunal de Draguignan a, dans un premier temps, décidé leur expulsion. L'Autorité palestinienne n'est encore qu'un embryon d'Etat mineur devant l'Etat israélien, mais son existence peut au moins servir de prétexte à expulser ses ressortissants ! Heureusement, cette décision a été suspendue par une autre juridiction, du moins pour le moment.
Le choix du gouvernement, aussi réticent soit-il, a évidemment été critiqué par ceux qui préfèrent l'expulsion au droit d'asile. Pasqua a déclaré y voir "une erreur monumentale que nous paierons très cher, elle relève d'une démarche démagogique et irresponsable". Il a reçu le renfort d'un homme qui se dit de gauche, Chevènement, fidèle au ministre de l'Intérieur qu'il a été, lui qui est responsable de la situation aberrante dans laquelle se trouvent aujourd'hui plus de 60 000 sans-papiers, fichés mais pas régularisés.
Bien que ces Kurdes, comme tous les réfugiés de la planète, admet Chevènement, ont été "chassés par la famine, la misère, la maladie, la mort, et par l'absence de toute perspective dans un pays frappé par un embargo inhumain", il prétend y voir un "cas particulier", qui "ne peut pas valoir précédent". Pour des bateaux identiques, il faut, selon lui, "donner des directives très fermes à la marine nationale pour repérer de tels arrivages et les arraisonner". La marine de guerre doit- elle les couler ?
Le Parti Socialiste, dont bien des responsables avaient plaidé dans le même sens que Pasqua et Chevènement comme par exemple Hollande, feint maintenant de se réjouir de "l'évolution positive de la situation des Kurdes irakiens naufragés, dans le respect des lois françaises et de la convention de Genève". Quand on sait que l'an dernier, sur quelque 30 000 personnes ayant demandé le droit d'asile dans le cadre de cette même convention, à peine le cinquième, moins de 6 000 personnes, ont obtenu satisfaction, le "respect des lois françaises et de la convention de Genève" peut tout aussi bien signifier refus et expulsions.
Les réfugiés kurdes ne sont donc pas au bout de leurs peines. Une course d'obstacles administratifs les attend, au terme de laquelle tous ne seront pas forcément acceptés. En effet, en moyenne, 18 % seulement des Irakiens qui en font la demande obtiennent le droit d'asile.
Selon la convention de Genève qui régit internationalement le droit d'asile, celui-ci est censé assurer la protection de toute personne craignant d'être persécutée "du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques". Mais il faut croire que les personnes qui décident du sort des réfugiés ne lisent même pas les journaux, puisque les réfugiés sont désormais plus souvent rejetés qu'accueillis, et cela vaut y compris pour les ressortissants de pays où l'emprisonnement arbitraire, les brimades, le recours à la torture, les menaces et exécutions sommaires par des "commandos de la mort" sont patents et notoires pour qui veut bien se tenir un minimum informé.
La procédure d'acceptation peut durer des mois, jusqu'à deux ans de temps. Une fois enregistrés par l'OFPRA, l'administration qui prétend protéger les réfugiés, ils auront un titre de séjour de trois mois, renouvelable le temps de la procédure. Pendant cette période, en vertu d'une circulaire de 1991 (quand le Premier ministre était la socialiste Edith Cresson), les demandeurs d'asile n'ont pas le droit de travailler (une mesure destinée à décourager les réfugiés optant pour la destination "France").
Si le statut de réfugié leur était enfin reconnu, les Kurdes disposeraient d'un certificat valable pour trois ans, puis cinq ans, puis dix, tous renouvelables. Et, au terme de ce périple, ils bénéficieraient de droits à peu près identiques aux Français de souche. Mais avant d'en arriver là, il y a infiniment plus de chances qu'ils soient contraints à partager le sort des immigrés clandestins, du fait même de la lenteur des procédures.
Et du rêve d'une "France (ou Allemagne), terre d'asile", ces réfugiés ont toutes les chances de se retrouver confrontés à la dure réalité de la surexploitation de la main-d'oeuvre en situation précaire, dont tire profit une partie du patronat. Au mieux, car ils peuvent aussi être expulsés.