Lire : Couleur espérance - La mémoire ouvrière juive autour de 1900, textes présentés et traduits du yiddish par Nathan Weinstock02/03/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/03/une-1703.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Divers

Lire : Couleur espérance - La mémoire ouvrière juive autour de 1900, textes présentés et traduits du yiddish par Nathan Weinstock

Au travers d'extraits de mémoires autobiographiques de militants juifs de la seconde moitié du 19e siècle, Nathan Weinstock, qui les a choisis et traduits du yiddish, fait revivre l'histoire de jeunes ouvriers nés dans des familles pauvres, religieuses et traditionalistes, ou bien jeunes intellectuels issus de familles plus aisées, plus ouvertes au monde moderne, tous sensibles aux injustices et à l'oppression qui règnaient dans l'Europe centrale et orientale, et notamment dans l'empire tsariste de l'époque.

La nombreuse population juive de l'empire russe, souvent pauvre, était largement composée d'ouvriers de petits ateliers artisanaux, parfois d'usines plus importantes, de fabriques de cigarettes ou de textiles. Les idées socialistes, d'abord diffusées au sein de cercles ouvriers de discussion et d'éducation restreints, influencèrent vite des masses plus importantes. Une vie politique nouvelle vit le jour. Rompant avec la pratique religieuse, le mode de vie et les coutumes traditionnelles, certains s'enflammèrent pour les idées nouvelles. En 1881 et en 1882, des grèves éclatèrent à Bialystok dans l'industrie textile pour des augmentations de salaire, soutenues par les tisserands allemands de la ville. En 1897, à Vilna, l'Union générale des ouvriers juifs de Russie et de Pologne (le Bund) fut fondée, initiant un demi-siècle de luttes ininterrompues jusqu'à l'extermination des Juifs d'Europe de l'Est par les nazis.

Pour toute une génération de jeunes Juifs, la découverte des idées socialistes bouleversa leur vie et les amena à militer dans des conditions difficilement imaginables en France aujourd'hui. Ils disposaient de très peu de moyens matériels, étaient victimes d'une surveillance policière constante, ce qui était le lot de tous les militants révolutionnaires de l'époque. Mais ils étaient de plus en butte à l'hostilité hargneuse des rabbins, aux agressions violentes de voyous briseurs de grève pour quelques sous, aux progroms tolérés par la police et encouragés par le pouvoir.

Les récits rassemblés par Nathan Weinstock se font l'écho de moments enthousiasmants, avec la célébration des fêtes révolutionnaires et les journées de la révolution de 1905 en Russie. Mais ils reflètent aussi les périodes de répression, de recul et de démoralisation qui suivirent l'échec de cette révolution. Les militants révolutionnaires furent alors réduits à une poignée, isolés. "A chaque fois que l'on rencontrait un camarade dans la rue, il vous annonçait son départ pour l'Amérique" rapporte un témoignage. D'autres se tournaient vers la religion... Il reste cependant que l'activité militante permit aux idées socialistes de pénétrer largement le milieu ouvrier juif, de l'organiser et de mener des luttes importantes.

Certes, Lénine soulignait les limites d'une organisation comme le Bund, qui se définissait comme juive plus encore que socialiste. Il écrivait au début de 1903 qu'il fallait assurer dans la social-démocratie russe "au mouvement ouvrier juif tout ce dont il peut avoir besoin : la propagande et l'agitation en yiddish, des publications et des congrès, la présentation de revendications particulières dans le développement du programme social-démocrate unique, commun et la satisfaction des besoins locaux et des revendications locales découlant des particularités du mode de vie israélite". Mais il ajoutait aussitôt que "pour tout le reste, la fusion complète et la plus étroite avec le prolétariat russe est nécessaire, indispensable dans l'intérêt de la lutte de tout le prolétariat de Russie". La classe ouvrière est une, quelles que soient les origines, les cultures, les traditions dont ses membres et ses militants sont issus.

Lors de la révolution de 1917, massivement, la base ouvrière du Bund rejoignit le Parti Bolchevik et fut attirée par la nouvelle Internationale Communiste, malgré l'opposition des dirigeants, défendant de plus en plus un nationalisme juif contre l'internationalisme ouvrier. En 1920 encore, les ouvriers socialistes juifs de Varsovie, en Pologne, se solidarisaient avec la Révolution russe et se tournaient vers l'Internationale Communiste, contre leurs dirigeants qui dénonçaient alors ce qu'ils appelaient "la terreur bolchevique". Et Trotsky put écrire que "le Bund croyait, en son temps, qu'il représentait le socialisme devant les Juifs et maintenant, il est devenu le représentant des intérêts juifs devant le socialisme. Il conduit à une dénaturation des intérêts de classe du prolétariat par les intérêts nationaux...".

Nathan Weinstock, qui autrefois se réclamait du marxisme, reprend malheureusement aujourd'hui les litanies anticommunistes à la mode contre la politique des Bolcheviks, dans le jeune Etat issu de la révolution russe de 1917. Mais il n'empêche. La lecture de ces souvenirs de militants est enthousiasmante et émouvante. Elle montre l'énergie et le dévouement dont étaient capables ces jeunes ouvriers et ces jeunes intellectuels qui s'emparaient des idées socialistes et décidaient de changer, pour changer les autres et pour changer le monde. C'est dans cette voie qu'existe une espérance pour l'humanité et non du côté de ceux qui ont abandonné le combat ou l'ont fourvoyé dans l'ornière sanglante du nationalisme.

Alain VALLER

Couleur espérance, La mémoire ouvrière juive autour de 1900. Textes présentés et traduits du yiddish par Nathan Weinstock, Editions Métropolis, 290 pages.

Partager