Les restructurations hospitalières : Une logique de rentabilité... aux dépens de la santé23/02/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/02/une-1702.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Les restructurations hospitalières : Une logique de rentabilité... aux dépens de la santé

Suite au vote par le Parlement de la loi sur le financement de la Sécurité sociale, le gouvernement vient de faire connaître le montant de l'enveloppe nationale qui sera allouée aux établissements de santé par l'assurance maladie : 275 milliards de francs pour les hôpitaux publics et établissements privés à but non lucratif et 40 milliards de francs pour les établissements privés à but lucratif ("cliniques").

Cette enveloppe nationale est répartie par région : si la progression moyenne par rapport à l'année dernière est de 3 %, selon les régions elle varie entre + 5 % environ (Poitou-Charentes, Picardie, Nord-Pas-de-Calais, départements d'outre-mer) et + 1,97 % (Ile-de-France). Ce mécanisme de répartition inégalitaire permet au gouvernement de récupérer sur le dos de la région Ile-de-France (une enveloppe de 61 milliards) de quoi augmenter un peu plus que la moyenne des régions où les besoins sont criants (par exemple en Poitou-Charente où l'enveloppe n'est que de 7 milliards de francs).

L'Ile-de-France est mise à la portion congrue pour la cinquième année consécutive (ce mécanisme a été en effet mis en place dans le cadre du Plan Juppé). Cela signifie qu'en 2001, les établissements de santé voient leur budget progresser à peine au niveau de la hausse des prix, soit en moyenne une progression égale à zéro. C'est une moyenne, c'est-à-dire que si certains établissements, selon le bon vouloir de l'Agence régionale de l'hospitalisation, arrivent à avoir un petit peu plus, le budget d'autres établissements, lui, régressera carrément. Cela s'est déjà produit les années précédentes.

Pour l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, la progression des dépenses de fonctionnement sera nulle, les crédits de 2000 seront maintenus. Compte tenu de l'inflation, ils seront en réalité en diminution. Le comble, c'est que l'activité dans les hôpitaux parisiens s'accroît sans cesse : dans un CHU de l'Assistance Publique, l'activité a progressé de 9 % entre 1996 et 2000, tandis que les budgets, si l'on retire l'incidence de l'inflation, ont stagné à seulement + 0,3 % !

L'année 2001 ne marque donc pas une rupture dans la politique du gouvernement vis-à-vis des établissements de santé, mais la continuation de la même volonté de limitation de leurs dépenses.

Une politique qui remet en cause la place de l'hôpital dans le système de santé

Pour le gouvernement, les hôpitaux sont trop nombreux, ils ont trop de personnel, ils réalisent des prises en charge qui ne leur incombent pas, bref, globalement, ils coûtent trop cher...

C'est le sens de l'objectif du développement des "alternatives à l'hospitalisation" : structures de secteur en psychiatrie, hospitalisation à domicile, chirurgie ambulatoire, mais aussi prise en charge par les professionnels libéraux de ville. Le gouvernement veut que les hôpitaux ne fassent plus que du soin lourd et technique, qu'ils se "recentrent sur leur métier" comme ils disent, reprenant ainsi le langage de la grande industrie dans les années 1980.

Cette politique permet de justifier la fermeture des petites maternités et la concentration des accouchements sur de grosses structures, certes mieux équipées mais nettement moins nombreuses. Quant à ces grosses maternités, le ministère leur demande de satisfaire à des normes de qualité plus importantes, mais sans leur donner les moyens d'embaucher du personnel et des médecins en nombre suffisant ; du coup, les fameuses normes ne sont que poudre aux yeux.

C'est la même politique dans le domaine des Urgences. Là aussi, les établissements tendraient à se spécialiser dans les urgences lourdes, mais seraient nettement moins nombreux : de 1999 à 2004, le gouvernement veut passer de 800 sites d'urgences à 600 sites.

Quant à la psychiatrie, le développement des structures de secteur permet dès aujourd'hui au gouvernement de programmer la disparition pure et simple de certains établissements.

La fin de l'hôpital généraliste

Dans la même logique, le gouvernement veut spécialiser les établissements dans des domaines particuliers : le centre hospitalier des années 1970, faisant un peu de tout (médecine, chirurgie, urgences, maternité, consultations), doit disparaître au profit de gros centres spécialisés, par exemple dans les pathologies cardiaques : c'est ce que l'on appelle les pôles. Les établissements historiquement importants - les Centres hospitaliers régionaux en particulier - pourront avoir plusieurs spécialisations ; mais cela sera interdit aux moins importants : aux yeux des pouvoirs publics, leur place est dans la proximité et ils n'ont plus à s'occuper des soins aigus. Les lits de médecine, de chirurgie, d'obstétrique doivent disparaître (24 000 lits de ces disciplines pour les années 1999-2004). Ils seront, pour certains, transformés en structures de rééducation, ou de prise en charge de personnes âgées dépendantes. Pour les autres, cela peut être la suppression pure et simple de pans entiers de l'activité de l'établissement.

Une politique qui consacre l'intégration du secteur privé à but lucratif dans le système hospitalier

Cette politique s'applique aussi aux établissements privés à but lucratif, les cliniques. Le gouvernement, là aussi, veut faire disparaître une partie des petits établissements au profit des gros. La France est en effet en Europe le pays où le secteur des cliniques est le plus important puisqu'il comprend 20 % environ des lits. C'est le résultat d'une autre caractéristique de ce pays : le poids de la médecine libérale.

Dans les années 1960, c'est en effet à partir de cette médecine que les cliniques se sont développées : un spécialiste exerçant en cabinet de ville montait sa clinique pour opérer lui-même ses patients plutôt que de les envoyer à l'hôpital public. Ces cliniques présentent toutes à peu près le même profil : entre 50 et 100 lits maximum, des médecins et chirurgiens propriétaires de l'établissement, une activité essentiellement libérale (les médecins ne sont pas salariés de la clinique, ils opèrent en facturant des honoraires au patient), et du coup, une sélection des patients sur des critères sociaux. Ces établissements, par ailleurs, fonctionnent le plus souvent dans des conditions artisanales pour ce qui concerne les soins : peu de personnel, mal rémunéré et souvent sans qualification. Bien sûr, ils se développent essentiellement sur les interventions simples, en particulier la chirurgie légère de l'adulte, l'accouchement sans complication, etc. : l'hôpital public est là pour récupérer, la casse, si c'est encore possible.

Cette première génération de cliniques est aujourd'hui déjà en recul : d'abord parce que les chirurgiens qui les ont créées commencent à avoir un certain âge et qu'une partie d'entre eux partent en retraite dépenser la "pelote" qu'ils ont accumulée pendant des années.

Ensuite, ces établissements sont aujourd'hui trop petits pour avoir les moyens financiers de se mettre aux normes, en ce qui concerne les matériels, les conditions de fonctionnement ou tout simplement pour embaucher du personnel qualifié.

Certains ferment. D'autres se regroupent ou sont rachetés par des chaînes de cliniques qui, elles, sont adossées à des groupes financiers. Ce mouvement de concentration est encouragé par le gouvernement. Les groupes ainsi restructurés fonctionnent dans une logique de rentabilité qui ressemble plus à celle de l'industrie qu'à celle de l'artisanat de la première génération de cliniques. Ces établissements, plus importants (100 à 600 lits), cherchent à accroître leur activité et à élargir leur clientèle en se spécialisant dans des créneaux financièrement intéressants. Ils savent que c'est sur le soin qu'ils gagnent de l'argent et n'hésitent pas à sous-traiter toute l'hôtellerie. Du coup ce secteur réalise près de 80 % de la chirurgie "ambulatoire" (c'est-à-dire sans hébergement) du pays. Cela réduit les coûts, notamment en personnel, et du coup cela répond aux exigences des Agences régionales de l'hospitalisation.

Le gouvernement et les professionnels libéraux

La place de l'hôpital recule, et dans la situation actuelle cela pèse sur la partie la plus pauvre de la population, car c'est elle qui l'utilise, pour des raisons de proximité, et surtout pour des raisons financières. Certes, l'hôpital public n'est pas gratuit mais il pratique, la plupart du temps, la dispense d'avance des frais pour ceux qui ont une couverture par l'assurance maladie. Quant à ceux qui en sont démunis, s'il les prend en charge, ce n'est pas toujours de façon digne et humaine.

Le gouvernement prétend que ce sont les cabinets d'infirmières, techniciens et médecins libéraux qui doivent en partie prendre le relais. Mais dans le même temps, il prétend limiter l'activité de ces cabinets, des laboratoires et des radiologues de ville.

Le gouvernement tient cependant à intégrer les libéraux dans une organisation en réseaux, pour leur faire perdre leur autonomie. Ces réseaux, organisés par l'assurance maladie, les encadreraient, leur imposeraient des modes de fonctionnement moins coûteux, notamment en mettant en cause le paiement à l'acte.

La majorité des libéraux n'en veulent pas et tiennent à leur fonctionnement de petits commerçants, ne faisant pas confiance aux industriels de la santé que sont l'assurance maladie, les mutuelles et les compagnies d'assurance : ils craignent pour leurs revenus, car ils savent pertinemment que la contrainte sur les obligations de service (par exemple des systèmes de garde la nuit et le week-end pour prendre en charge les urgences de proximité jusque-là assurées par les hôpitaux) s'accompagnera d'un encadrement de leur rémunération.

Pour l'instant, on voit bien dans la pratique la restriction sur les dépenses hospitalières, mais on ne voit pas se développer les structures de proximité censées remplacer l'hôpital.

Pour la psychiatrie par exemple, le nombre de lits d'hospitalisation à temps complet a été réduit d'une manière draconienne, en particulier pour la psychiatrie adulte. Les structures dites de secteur, censées assurer la prise en charge des patients sans les couper de la société, prennent en partie le relais. Mais pour la partie la plus pauvre de ceux qui ont besoin de soins, cette politique aboutit à un recul, même par rapport à une prise en charge à l'hôpital, avec ses défauts : comment intégrer dans la société ces personnes fragilisées par leur maladie, alors que la société capitaliste est déjà incapable d'assurer l'intégration de gens bien dans leur tête ? C'est sur les quais du métro qu'une partie des personnes les plus pauvres ont une vie "sociale"...

Dans la prise en charge des urgences de proximité, c'est toujours vers l'hôpital que se dirigent ceux qui ne peuvent pas faire l'avance des frais chez un médecin libéral, sans parler de SOS médecins, par exemple, la nuit ou le week-end.

Les véritables motifs des pouvoirs publics sont seulement de réduire les dépenses d'assurance maladie par tous les bouts, côté hôpital et côté libéraux, pour alléger d'autant les cotisations des entreprises.

Une restructuration de la santé dans le sens des intérêts du capital

Cette orientation est engagée par les gouvernements successifs depuis une bonne vingtaine d'années maintenant. Présentée comme résultant de choix techniques, de "la recherche de la qualité et de l'efficience du système" pour reprendre le jargon officiel, elle est entièrement dictée par la logique du profit.

Le système de santé français est déjà profondément inégalitaire. Même les établissements publics sont, de fait, mieux utilisés par les privilégiés que par les plus pauvres : si les ouvriers font la queue aux urgences, si les plus démunis ont toujours des problèmes d'accès aux soins - la CMU n'ayant rien résolu sur le fond - les plus riches, eux, savent obtenir directement un rendez-vous auprès du "grand professeur parisien" et avoir accès, par l'intermédiaire de leurs relations sociales, au top du top des soins, avec une prise en charge à 100 % par l'assurance maladie.

Quant aux libéraux, qui défendent avant tout leurs revenus et leur autonomie, c'est-à-dire sur le fond l'absence de contrôle par la collectivité qui a pourtant financé leurs études et finance leur activité, ils n'ont jamais assuré, comme le prétendent leurs syndicats, les mêmes soins pour tous : leur mode de rémunération, leur pratique s'opposent à l'accès aux soins pour les plus pauvres.

Mais le passage d'une santé en partie publique, et en très grande partie libérale, à un système de santé "industrialisé" et sous la coupe des grandes compagnies d'assurances capitalistes ne représenterait évidemment pas un progrès pour la population.

Pour assurer ce progrès, il faudrait aller vers un grand système de santé unique, public et gratuit, sous le contrôle de la population, et disposant des moyens réels de faire les meilleurs choix techniques pour garantir à tous des soins de qualité.

Ce n'est pas vers cela que le gouvernement veut aller, loin de là !

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