Dans les municipalités : L'eau privatisée au détriment des usagers23/02/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/02/une-1702.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Dans les municipalités : L'eau privatisée au détriment des usagers

Depuis les lois de décentralisation de 1982, la gestion de l'eau relève de la compétence des municipalités et donc des décisions des maires. La privatisation de ces services, déjà bien entamée, s'en est trouvée accélérée et il n'y a plus aujourd'hui qu'un quart de la distribution de l'eau qui soit encore en régie municipale alors que les trois quarts ont été concédés au privé, essentiellement à deux grands trusts : Vivendi (ex-Générale des eaux) pour les deux tiers et la Lyonnaise des eaux pour un tiers.

L'une des raisons du renoncement des municipalités à la gestion en régie est due au fait que l'Etat, dans le domaine de l'eau comme dans les autres, n'a pas donné aux communes les moyens financiers permettant de faire face aux charges qui leur étaient dévolues. Et cela dans une période où la législation, plus stricte sur la qualité de l'eau, exigeait des investissements importants en matière d'épuration, de traitement des eaux usées, de modernisation des réseaux de distribution souvent très vétustes.

La Générale et la Lyonnaise à l'assaut du marché

La Générale des eaux et la Lyonnaise se sont précipitées dans une concurrence acharnée pour convaincre les maires qu'elles allaient les aider si on leur accordait le marché de l'eau. Elles ont pour cela non seulement engagé un personnel nombreux, parmi lequel des anciens élus, pour démarcher les maires, mais elles se sont montrées prêtes à payer cher, très cher pour emporter le marché. Elles ont versé bien sûr des pots-de-vins à des maires ; c'est ainsi qu'Alain Carignon, le maire de Grenoble, a été condamné pour avoir reçu 21 millions de francs de la Lyonnaise des eaux en échange de la concession de l'eau de la ville. Mais bien souvent, c'est au budget de la commune que les trusts de l'eau s'engageaient à apporter une aide substantielle. Ce "droit d'entrée", objet de surenchère entre les deux trusts rivaux, pouvait représenter une vraie fortune ; c'est ainsi que la Générale des eaux a payé jusqu à 570 millions de francs pour obtenir la concession de l'eau de la ville de Toulouse. Les concessionnaires promettaient aussi de réemployer le personnel de la commune, garantissaient les emplois et parfois même des revenus réguliers à la commune. D'ailleurs, la Cour des comptes remarque que, malgré leur caractère illégal, les droits d'entrée se perpétuent aujourd'hui encore sous forme d'une "redevance d'occupation du domaine public capitalisé" !

Si des entreprises privées sont prêtes à payer si cher pour emporter un marché, c'est qu'elles le considèrent extrêmement rentable et espèrent bien que les profits qu'elles en tireront seront en rapport avec leur mise de départ. D'ailleurs, dans le cas de l'eau, ce sont les usagers qui payent pots-de-vin et droits d'entrée, ainsi que les profits des compagnies privées, à travers une augmentation des prix de l'eau !

C'est ainsi que depuis 1990, en dix ans, les factures d'eau, en moyenne, ont presque doublé. Mais les disparités sont grandes : les différences de prix vont de 1 à 7, de 5 francs le m3 à près de 35F ! Et ce sont évidemment les villes qui ont fait appel à des entreprises privées qui ont en moyenne les tarifs les plus élevés.

Certains cas ont fait scandale. Par exemple à Grenoble : en 1999, le tribunal administratif a déclaré illégal le prix que les usagers de la ville avaient payé l'eau depuis la privatisation en 1989 ; à Saint-Etienne, la Ville et la Société stéphanoise des eaux, qui n'est autre qu'une filiale commune de la CGE et de la Lyonnaise, ont été condamnées à rembourser des trop-perçus à des usagers ; dans l'Ardèche, ce sont six cents personnes qui ont refusé pendant des années, à partir de 1992, de payer leur facture d'eau à la filiale de Bouygues qui avait récupéré le marché de l'eau et augmenté considérablement les prix, etc.

Des profits payés par l'usager

Les trusts de l'eau prélèvent aussi sur l'usager des provisions pour le renouvellement futur des réseaux. Ils font payer à l'avance les travaux futurs et accumulent ainsi de l'argent qui leur rapporte sur les marchés financiers et dont bien sûr les usagers ne profitent pas. Par contre les travaux d'entretien, de renouvellement, de traitement de l'eau, etc., sont faits a minima. Lorsque la concession arrive à terme, il reste parfois des dizaines de millions de "provisions" que l'entreprise gardera avec elle si la concession n'est pas renouvelée ! Auquel cas les usagers auront à payer une deuxième fois pour les travaux qui auraient dû être faits !

Les sociétés privées, recherchant les profits avant tout, n'ont pas investi ce qu'il aurait fallu pour respecter les normes légales de qualité de l'eau. Quatre millions de branchements au réseau public sont encore en plomb, ainsi que les canalisations de quelque dix millions d'appartements, si bien que, selon une enquête de Que Choisir d'août 1999, il y a des endroits en France où la teneur en plomb de l'eau du robinet la rend impropre à la consommation. En Bretagne, les eaux polluées aux nitrates ont fait scandale ; la cour d'appel de Grenoble a condamné en avril 1999 la CGE pour avoir distribué dans la Drôme des eaux trop chargées en nitrates, etc.

Qu'à cela ne tienne, les deux trusts de l'eau veulent développer leur activité dans la vente d'eau de source ou d'eau purifiée qu'elles pourront faire payer d'autant plus cher que l'eau du robinet sera... imbuvable !

C'est dire que les municipalités qui ont accepté de concéder le marché de l'eau au privé n'ont pas oeuvré dans l'intérêt de la population qui a dû payer beaucoup plus cher pour le même service en contribuant à alimenter un peu plus les profits de quelques grands trusts.

Une tutelle à secouer

Les deux principaux trusts, qui se sont livrés au départ une concurrence acharnée, ont bien su s'entendre pour se partager finalement le marché et racketter la population. Dans bien des villes, ils se sont même associés dans des filiales communes, comme à Lille par exemple où la Société des eaux du Nord, filiale de la CGE et de la Lyonnaise, a emporté le marché de l'eau en 1985 pour trente ans ! A Paris, toutes deux participent à la Société d'économie mixte qui gère la distribution de l'eau et c'est la Générale des eaux qui distribue sur la rive droite pendant que la Lyonnaise distribue sur la rive gauche... !

Les municipalités qui ont tenté de revenir sur des concessions accordées pour vingt-cinq ou trente ans ont eu affaire à forte partie et ont dû payer parfois fort cher pour s'être dédites. Et si par exemple la Ville de Grenoble a obtenu en 1997 l'annulation par les tribunaux de la concession accordée par Carignon à la Lyonnaise des eaux, il lui a fallu verser quelque 86 millions de dédommagements à celle-ci ! C'est dire que l'expérience a été coûteuse pour la population de la ville. En mars de l'an dernier, le conseil municipal a décidé de remettre la distribution de l'eau en régie municipale.

Les Vivendi et autre Lyonnaise des eaux ont suffisamment racketté la population pour qu'on les exproprie au lieu de leur payer encore des indemnités pour leur faire cesser leur racket. Une municipalité au service de la population ne permettrait pas aux entreprises privées de s'emparer des services publics car ils peuvent être organisés à moindre coût et de façon plus équitable quand ils n'ont pas à assurer, en plus du service aux usagers, des profits à des sociétés privées. Et ce qui est vrai pour l'eau l'est aussi bien sûr pour les ordures ménagères, les transports publics, les cantines scolaires. Ce le serait aussi si la commune prenait en main la construction des logements nécessaires à la population laborieuse.

Mais pour qu'une municipalité soit vraiment au service de la population, il faudrait que ce soit la population elle-même qui prenne en main la vie de la cité et qu'elle ne s'en remette pas au maire, qui a tout pouvoir pour décider de privatiser certains services... mais aussi de les gérer au profit des plus riches, et pas forcément dans l'intérêt de la population laborieuse si celle-ci ne contrôle pas ses élus.

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