Porto Alegre : Quand l'anti-mondialisation s'institutionnalise02/02/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/02/une-1699.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Porto Alegre : Quand l'anti-mondialisation s'institutionnalise

La réunion de Porto Alegre aura été, pour ses organisateurs, un incontestable succès. D'abord le premier Forum Social Mondial aura réussi à apparaître auprès de la presse mondiale comme un contrepoids face à celui des décideurs libéraux et des gouvernants de Davos. Ensuite en réunissant près de 3 000 délégués venus du monde entier, 10 000 participants, environ 1 000 journalistes et près de 350 parlementaires, ce contre-sommet aura au moins fait entendre une voix ou plutôt des voix contestataires, et tranchant avec le discours assommant du capitalisme triomphant.

Mais après Seattle, Prague et Nice, l'objectif de cette initiative ne consistait plus simplement à manifester, mais prétendait construire un contre-projet politique, ou en tout cas esquisser une alternative face à la mondialisation. Force est de constater que les limites et les contradictions d'une telle entreprise sont apparues au grand jour. Les centaines d'organisations représentées n'ont pu arriver au moindre accord final, ni d'ailleurs à structurer davantage un réseau.

Ce qui se jouait à Porto Alegre, ce n'était plus simplement l'expression d'une contestation réelle, mais bel et bien un quiproquo entre des associations représentant des luttes et des résistances à l'offensive capitaliste et un vaste projet de réhabilitation politique de la social-démocratie. Cette dernière d'ailleurs, depuis bien longtemps en panne d'ambitions et même de projets réformistes, ne s'est pas trompée sur l'importance de ce contre-sommet. En plus de l'ONU et du gouvernement américain, la plupart des gouvernements prétendument de gauche et des organisations qui y sont liées ont dépêché des émissaires.

Bien sûr, Jospin a envoyé, pour les choses sérieuses, son Ministre des Finances à Davos et deux obscurs secrétaires d'Etat à Porto Alegre. Il n'en reste pas moins vrai que du Parti Socialiste français au Parti des Travailleurs du Brésil, le Forum était une opération à moindre coût pour tenter de redorer un blason réformiste bien terni par des années de gestion gouvernementale. Et profiter d'un rassemblement hétéroclite allant d'organisations comme le Mouvement des Sans Terres brésilien à tout un milieu de déçus du réformisme jusqu'à certaines organisations révolutionnaires.

Entre la misère néolibérale ou la pénurie participative...

Bien sûr, des sujets au centre des préoccupations de tous ceux qui s'interrogent sur l'avenir de la planète et de la société humaine, ont été à nouveau développés : la lutte pour l'annulation de la dette du tiers-monde, la taxation des mouvements de capitaux, l'imposition de normes sociales aux multinationales ou l'interdiction des aliments transgéniques. Mais on n'a pas avancé d'un pas en ce qui concerne la question centrale : comment mettre en place les mesures préconisées ? Et pour cause. Les vedettes du Forum, Chevènement par exemple, n'étaient pas là pour ça, mais simplement pour la montre. Ou alors pour orienter l'ensemble de ces combats vers des issues constructives et pousser à l'institutionnalisation, c'est-à-dire la domestication, des anti-mondialisation. Le budget participatif dont s'enorgueillit la municipalité de Porto Alegre qui accueillait le Forum, illustre à plus d'un titre cette ambiguïté : une manière de célébrer la démocratie populaire en occultant le fait que sur la base d'un budget bloqué, cette belle idée revient à gérer la pénurie.

On ne peut, en effet, rendre plus humain un capitalisme, désormais mondial depuis plus d'un siècle, avec de simples aménagements, le plus souvent de façade. La lutte contre les injustices faites aux travailleurs du monde, ne peut se résumer à des discussions visant à convaincre les décideurs de la planète de faire une politique plus sociale et écologique.

On ne peut sérieusement penser une seconde que les paysans ruinés du Tiers Monde, les salariés licenciés par les trusts et un ancien ministre de l'intérieur, fût-il étiqueté progressiste , ont des intérêts communs. Les délégués français ont eu beau jeu de dénoncer, avec raison, Chevènement pour sa politique envers les sans papiers. On ne peut oublier qu'ils savaient qu'ils se rendaient à une réunion où ils le retrouveraient, lui et deux ministres de Jospin d'ailleurs. N'était-ce pas reconnaître, qu'ils le veuillent ou non, que ces personnages avaient bel et bien leur place dans un Forum où il était exclu d'avance de mettre en place une politique contre le capitalisme, mais plutôt de faire semblant de lutter contre ce qui est présenté comme le mal absolu : l'hégémonie américaine.

Le Forum de Porto Alegre n'aura pas, de l'avis même des participants, de conséquence majeure dans l'équilibre des rapports de force entre les exploiteurs et les exploités du monde.

Alors, aucun résultat ? Ce n'est peut-être pas tout à fait vrai, même si ce n'est pas ceux que l'on avait fait miroiter. Déjà on parle pour les élections présidentielles d'une nécessaire réaction citoyenne au premier tour (car au second il ne fait pas de doute pour tous ces politiciens qu'il ne peut y avoir qu'un champion Lionel Jospin lui-même). Si José Bové pour l'instant décline toute proposition, d'autres se chargent pour lui de lui inventer un avenir ou des ambitions. Lui ou un autre d'ailleurs. Robert Hue n'exclut pas de laisser la place à un candidat de la société civile pour créer un élan populaire et social . Les Verts, bien que divisés, verraient d'un bon oeil une telle opération pour rabattre un peu de l'arrogance du Parti Socialiste.

La juste révolte peut être parfois détournée vers des chemins bien traditionnels. A force de critiquer les effets plutôt que les causes des injustices, à force de proposer d'améliorer le capitalisme plutôt que le renverser, on revient inexorablement vers les vieilles recettes réformistes : changeons le monde, doucement, pas beaucoup, avec des élections.

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