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- Lutte ouvrière n°1699
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Charles Mérieux : La mort d'un grand bourgeois, "humaniste"... d'abord pour sa fortune
Charles Mérieux - celui qui a transformé l'institut Mérieux en multinationale de la vaccination humaine et animale - est mort à Lyon le 18 janvier. Son décès a donné lieu à une débauche de propos flatteurs et élogieux.
Certains étaient dans leurs rôles : le baron Seillière qui a financé des filiales du groupe, Chirac, ami personnel et politique de la famille, représenté par sa femme aux obsèques, la classe politique de droite comme Raymond Barre, maire de Lyon ou encore les élus du RPR dont Mérieux a toujours été un grand soutien.
Les élus socialistes de la région comme Queyranne, ministre de Jospin et maire de Bron, ou Gérard Collomb, candidat socialiste à la mairie de Lyon, y sont aussi allés de leurs couplets sur le grand humaniste ou l'homme de sciences . La presse locale n'a pas été avare non plus sur celui qu'elle a nommé le Docteur de l'humanité.
Mais d'autres éloges n'ont sans doute pas été très appréciés des milliers de salariés qui, par leur travail, ont bâti et entretiennent aujourd'hui la fortune de la famille Mérieux. Ce sont ceux des élus communistes, André Gerin, député-maire de Vénissieux, ou Guy Fischer, conseiller général et sénateur du Rhône, regrettant une grande perte pour la France et pour la science ou saluant ce poète des temps modernes. Rien de moins.
Pourtant, Charles Mérieux était d'abord un grand bourgeois, issu d'une famille de la soie et de la banque lyonnaise. Reprenant, en 1937, l'institut Mérieux fondé par son père - laborantin de Pasteur - il a développé plusieurs groupes spécialisés dans les vaccins, les sérums ou la recherche biotechnologique et qui se nomment aujourd'hui Aventis Pasteur, Mérial ou encore BioMérieux.
En 1999, Aventis Pasteur employait 5 400 personnes dans le monde et avait un chiffre d'affaires de plus de 5 milliards de francs. Mérial employait 4 500 salariés pour un chiffre d'affaires de 10,3 milliards de francs, en augmentation de plus de 8 % par rapport à l'année précédente. S'il est difficile de connaître la part exacte de la famille Mérieux dans ces différentes sociétés, restructurées plusieurs fois ces dix dernières années, on sait que cette famille est le plus gros contribuable de la région.
Et puis comme l'amour n'est pas toujours aveugle, le fils et actuel patron de la famille, Alain Mérieux, a épousé l'héritière de la famille Berliet (les usines de camions devenues depuis Renault Véhicules Industriels).
En outre, Charles Mérieux a toujours été engagé à droite, proche de De Gaulle, puis soutien indéfectible du RPR. Son fils, Alain, est d'ailleurs un dirigeant local du RPR. Il a été vice-président du conseil régional Rhône-Alpes, bras droit de Millon jusqu'en 1998.
Charles Mérieux avait certes des compétences scientifiques puisqu'il était médecin. Mais c'était d'abord un industriel, qui a fait sa fortune en vendant des vaccins. Son humanisme a surtout consisté à profiter de toutes les opportunités, toutes les épidémies, sous toutes les latitudes, pour agrandir son affaire. Il a su également profiter des campagnes nationales de vaccination, financées par l'Etat, pour s'imposer.
Dès 1946, fabriquant des vaccins contre la fièvre aphteuse avec l'aide gracieuse des abattoirs de Lyon, il a obtenu du gouvernement la vaccination systématique du cheptel bovin français. Dans les années 60, ses affaires ont explosé avec une épidémie de fièvre aphteuse en Iran puis en Argentine. Mérieux a amélioré le vaccin contre la rage dont il a vendu des millions de doses en Amérique latine.
En 1975, Charles Mérieux s'est fait connaître mondialement en industrialisant en urgence et en un temps record la production d'un vaccin contre la méningite A. La vaccination de 90 millions de personnes en quelques mois a enrayé l'épidémie qui ravageait le Brésil. Mais l'humaniste Mérieux n'a pas été jusqu'à vendre ses vaccins à prix coûtant. Sa fortune s'est accrue en même temps que sa réputation.
Plus récemment, Mérieux a trouvé un nouveau filon : l'humanitaire. Sachant bien que les populations des pays pauvres n'avaient pas les moyens de se payer des vaccins, il a encouragé le développement d'organisations humanitaires qui, grâce à des fonds publics ou des dons, peuvent, elles, acheter des vaccins. Il a aussi obtenu du gouvernement - en particulier avec Hernu, puis avec Kouchner - la mise à disposition des structures militaires françaises en Afrique pour organiser des campagnes de vaccination.
Là encore, si le geste semble humanitaire, les doses de vaccins n'ont été fournies ni gracieusement ni à prix coûtant.
Lors du scandale du sang contaminé, l'institut Mérieux a été très brièvement mis en cause par la presse pour avoir continué à commercialiser volontairement pendant quelques mois un produit insuffisamment chauffé et donc dangereux. En quelques jours, plus aucun article n'a fait allusion à cela et ni Alain Mérieux ni aucun autre dirigeant de la société n'a jamais été mis en examen. Les très hautes protections ont sans doute été bien utiles.
Voilà donc l'homme - et la famille - que des élus, y compris ceux qui prétendent défendre les intérêts du monde du travail, ont salué de façon aussi flatteuse. Charles Mérieux - mais ce sont surtout les salariés, les techniciens, les chercheurs de ses laboratoires - a certes mis au point et produit des sérums et des vaccins utiles à toute l'humanité. Mais, comme tout grand capitaliste, il a d'abord su en tirer des profits personnels.
Le véritable bienfait pour l'humanité, ce serait que la recherche, la production et la diffusion des médicaments ne soient plus soumises au profit capitaliste mais soit une activité de service public.