RTT à la Sécurité sociale : Quand le patronat démissionne... pour imposer sa politique12/01/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/01/une-1696.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

RTT à la Sécurité sociale : Quand le patronat démissionne... pour imposer sa politique

Au moment où le MEDEF remet en cause le régime des retraites, et après avoir menacé de démissionner de l'UNEDIC, il vient de quitter l'organisme qui «chapeaute» la Sécurité sociale, l'UCANSS (Union des caisses nationales de la Sécurité sociale). Le MEDEF, qui apparaît de plus en plus ouvertement comme l'organisation politique du patronat, le «Parti des entreprises» selon les propos de Seillière, cherche à appliquer son programme dit de «refondation sociale» qui consiste à remettre en cause les divers organismes sociaux, voire à terme à les privatiser ou les liquider.

Le MEDEF quitte l'UCANSS

Après plus de deux ans de négociation sur la réduction du temps de travail, les représentants des principaux syndicats patronaux, MEDEF en tête, ont donc démissionné, le 13 novembre dernier, de l'UCANSS (Union des caisses nationales de la Sécurité sociale), qui est l'organisme employeur du personnel de la Sécurité sociale (les salariés de la Sécu ne sont pas fonctionnaires) et dans le Conseil d'administration duquel siègent, sur une base paritaire, les syndicats de salariés et les syndicats patronaux.

Les patrons ne sont plus là, bon débarras pourrait-on dire. Mais si les représentants patronaux ont démissionné ce n'est pas pour «laisser tomber». Bien au contraire, c'est pour faire pression dans le but d'imposer leur politique. Ils avaient d'ailleurs déjà quitté l'UCANSS dans le passé, en juin 1990, et étaient revenus après une «médiation» de l'Etat... en obtenant du gouvernement des pouvoirs accrus (la parité au Conseil d'administration). Et c'est ce qui risque de se passer à nouveau.

La négociation portait sur l'application des lois Aubry chez les 174 000 salariés de la Sécurité sociale. Comme partout, le patronat veut en profiter pour aggraver les conditions de travail et rogner les salaires. Et cela d'autant plus volontiers qu'il considère, au fond, la Sécurité sociale comme un organisme inutile, et qui serait avantageusement remplacé, à terme, par des assurances privées, comme cela existe aux Etats-Unis par exemple. D'ailleurs, Denis Kessler, vice-président du MEDEF, président de la Fédération française des sociétés d'assurances, directeur général d'Axa, est l'un de ceux qui ont le plus poussé à la démission patronale.

Une situation de plus en plus difficile

Cette négociation se déroulait dans un contexte très difficile pour les salariés : la charge de travail est souvent énorme, les retards, dans certains centres, sont considérables, et malgré ces difficultés le nombre des agents a été réduit de 23 000 en huit ans !

Là-dessus ont été mis en route deux systèmes informatiques, Cristal dans les Caisses d'allocations familiales (CAF) et Sesame-Vitale, dans les Caisses Primaires d'Assurance Maladie (CPAM). Ces deux systèmes ont été accusés de tous les maux. Il fallait paraît-il un temps d'adaptation. En réalité c'est le manque de personnel qui est dramatique.

Et en plus l'introduction de la Couverture maladie universelle (CMU) entraîne un énorme surcroît de travail. Le personnel en a ras le bol, et les assurés sociaux tout autant.

Les deux départs du MEDEF

Le représentant du MEDEF a défendu, au début, la position suivante : aucune embauche, gel des salaires (le salaire de base est déjà gelé depuis pratiquement 1993), suppression de la progression des salaires de 2 % par an liée à l'ancienneté, allongement du stage probatoire d'embauche de six mois à un an. Bref, il voulait une remise en cause de la Convention collective et un véritable retour en arrière, ce qui indigne le personnel.

Les syndicats qui avaient accepté le principe de la loi Aubry - même si certains disaient avoir des réticences : «Elle n'est pas excellente, il faudra donc "bien" négocier» - n'ont pas accepté les propositions provocatrices du patronat.

Il s'en est suivi une première démission du représentant du MEDEF, remplacé par un autre, «concédant» un plan de 9 300 embauches (dont une grande partie déjà programmée !) et de toute façon essentiellement dans le cadre des emplois aidés, emplois-jeunes, contrats de qualification... Les syndicats chiffrent à 18 000 au minimum le nombre des embauches indispensables, pour parer au plus pressé.

Puis le 13 novembre le MEDEF a quitté l'Ucanss en expliquant qu'il n'était pas question pour lui d'accepter le maintien de l'augmentation automatique des salaires à l'ancienneté : le MEDEF tient à l'augmentation des salaires «au mérite», il en fait une question de principe.

Vers la «lettre de cadrage»

Faute d'accord, et conformément à la loi Aubry, la RTT, en vigueur depuis le 1er janvier 2000, est appliquée de la façon suivante : les employés travaillent toujours 39 heures par semaine, mais on leur rend, en temps, uniquement la majoration de 10 % due au titre des 4 heures supplémentaires effectuées chaque semaine, soit 24 minutes par semaine, lesquelles sont passées à une heure depuis le 1er janvier 2001. Quant aux agents à temps partiel, surtout des femmes, nombreuses à la Sécu, elles n'ont aucune compensation, puisqu'elles n'étaient pas à 39 heures ! Les employés trouvent ces mesures absurdes et injustes.

Devant l'échec des négociations et la démission des principaux syndicats patronaux, le ministère de tutelle de la Sécu, celui des Affaires sociales, hier de Martine Aubry, et aujourd'hui de Guigou, doit proposer une «lettre de cadrage» qu'on attend encore à ce jour qui préluderait à des discussions non plus à l'échelle générale de l'Ucanss, mais organisme par organisme, là où d'ailleurs les représentants patronaux se sont bien gardés de démissionner. Et d'après le projet qui a circulé, cette «lettre de cadrage», qui prétend maintenir la Convention collective, reprendrait les lois Aubry, avec évidemment tous leurs aspects négatifs, et sans autres embauches que les 9 300 déjà envisagées, c'est-à-dire rien pour compenser la RTT (et encore il est question que le ministère des finances n'accepte même pas le financement correspondant !). Malheureusement on peut s'attendre au pire, et donc à une aggravation de la situation, d'autant que les syndicats risquent fort d'accepter le piège des négociations organisme par organisme.

Les travailleurs pourraient réagir

Le personnel aspire à travailler moins, à ne plus être constamment débordé, et demande périodiquement «où en est la RTT ?».

Depuis deux ans les employés de la Sécurité sociale ont été appelés à plusieurs reprises par les syndicats à des mouvements de grève pour appuyer les négociations. Ces mouvements ont été relativement bien suivis, mieux que les années précédentes, et dans certains secteurs très majoritairement.

En outre, plusieurs caisses primaires d'assurance maladie ont connu des grèves déterminées, entraînant y compris les cadres, et parfois la fermeture des centres, sur des problèmes d'effectifs et de conditions de travail.

C'est bien évidemment à l'échelle de l'ensemble de la Sécurité sociale, avec l'appui des assurés sociaux - c'est-à-dire l'ensemble du monde du travail - qu'il faut organiser la riposte qui s'impose, non seulement pour défendre les employés de la Sécurité sociale, mais, à terme, la Sécurité sociale elle-même, de plus en plus dirigée depuis des années par l'Etat et par le patronat, alors qu'elle gère uniquement l'argent des travailleurs !

Partager